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Climat, une mobilisation et une charte

Près de 500 journalistes (dont moi) et une cinquantaine de rédactions ont signé la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence  écologique à son lancement. Une charte qui les engage à intégrer de nouvelles façons de travailler pour un meilleur traitement de l’information. Cette initiative menée par un collectif d’une vingtaine journalistes et de professionnels de l’information sur l’initiative du média Vert pendant près de 6 mois s’inspire d’autres chartes et pousse les médias français à l’action.

La soirée de lancement organisée à la Recyclerie, à Paris, a fait salle comble et réuni encore près d’une centaine de spectateurs en live sur les réseaux où était diffusée la soirée. Deux panels ont permis de mieux appréhender quels étaient les défis pour la presse en termes de couverture des défis de l’écologie. Valérie Masson Delmotte, co-présidente du GIEC a notamment rappelé le rôle essentiel des médias dans la transmission de l’état des connaissances sur la crise environnementale que nous vivons.

Les publications des trois derniers rapports du GIEC se sont toutes vu voler la vedette par d’autres actualités plus sexy et moins « anxiogènes » et le climat n’a totalisé que quelques minutes d’antenne sur la dernière semaine de campagne présidentielle. Pour rappel, il ne s’agit pas en effet de parler simplement de mauvais temps et de manque de précipitations, mais de faire le point également sur l’effondrement dramatique et violent de la biodiversité ou l’acidification des sols et des océans et rappeler à la fois les ordres de grandeur, les enjeux pour les populations et les besoins de transformation de nos modes de vie.

L'équipe de journaliste à l'origine de la charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence climatique

L’équipe de journaliste à l’origine de la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique

Les représentants des grands médias présents ont à maintes reprises tous souligné les besoins de formation de la profession sur ces questions qui pour beaucoup restent indigentes. Certains médias comme le Monde et Radio France s’apprêtent d’ailleurs à lancer de grandes opérations de formation interne pour se mettre à niveau. Sans faire la fine bouche, les journalistes ne sont pas réellement les plus à cheval sur la formation continue. On ne peut donc que se réjouir d’une telle initiative, tout en rappelant que d’autres formations, dans d’autres domaines, seraient également bienvenues. Le fondateur de Médiacités, Jacques Trentesaux, rappelait d’ailleurs à cette occasion le besoin énorme de formation des pigistes, trop souvent oubliés et abandonnés à leur précarité.

Pour le reste la conversation et les débats se sont portés, comme à l’occasion des assises du journalisme 2021 dédié au sujet, uniquement sur les sujets éditoriaux. Définitivement insensibles aux questions techniques, les différents intervenants ont ignoré la portée des choix techniques de leurs propres médias. Quid des hébergements de sites (AWS Amazon ou OVH ?), quid des CMS (Arc d’Amazon ou WordPress ?), quid de l’écoconception des plateformes, quid des pubs affichées sur les pages, de la relation avec Facebook, de la diffusion de vidéos, etc., etc.

Toutes ces questions qui ont un impact fort sur le bilan carbone d’un média ne cessent d’être ignorées par les rédactions qui continuent de penser que cela ne les concerne pas. Pourtant, sans intervention des sociétés de journalistes, ces questions resteront inexplorées par les directions qui, elles aussi, évitent le sujet tant il est vrai que déjà leur retard est important sur beaucoup de ces secteurs (bien évidemment, toutes les situations sont différentes et le Monde par exemple reste certainement mieux loti que l’Humanité sur ces questions).

Pour lire un compte rendu des coulisses de la conception de cette charte, rendez-vous sur Samsa.fr, pour le reste, la charte est reproduite ci-dessous et n’hésitez pas à vous rendre sur https://chartejournalismeecologie.fr/ pour plus d’informations.

Le consensus scientifique est clair : la crise climatique et le déclin rapide de la biodiversité sont en cours, et les activités humaines en sont à l’origine. Les impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines sont généralisés et, pour certains, irréversibles. Les limites planétaires sont dépassées l’une après l’autre, et près de la moitié de l’humanité vit déjà en situation de forte vulnérabilité.

Dans son sixième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insiste sur le rôle crucial des médias pour « cadrer et transmettre les informations sur le changement climatique ». Il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat pour les générations actuelles et à venir. Face à l’urgence absolue de la situation, nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information.

Tel est l’objet de la présente charte. Nous invitons donc la profession à :

  1. Traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale. Ces sujets sont indissociables. L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique ; elle doit devenir un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets.
  2. Faire œuvre de pédagogie. Les données scientifiques relatives aux questions écologiques sont souvent complexes. Il est nécessaire d’expliquer les ordres de grandeur et les échelles de temps, d’identifier les liens de cause à effet, et de donner des éléments de comparaison.
  3. S’interroger sur le lexique et les images utilisées. Il est crucial de bien choisir les mots afin de décrire les faits avec précision et rendre compte de l’urgence. Éviter les images éculées et les expressions faciles qui déforment et minimisent la gravité de la situation
  4. élargir le traitement des enjeux. Ne pas renvoyer uniquement les personnes à leur responsabilité individuelle, car l’essentiel des bouleversements est produit à un niveau systémique et appelle des réponses politiques.
  5. Enquêter sur les origines des bouleversements en cours. Questionner le modèle de croissance et ses acteurs économiques, financiers et politiques, et leur rôle décisif dans la crise écologique. Rappeler que les considérations de court terme peuvent être contraires aux intérêts de l’humanité et de la nature.
  6. Assurer la transparence. La défiance à l’égard des médias et la propagation de fausses informations qui relativisent les faits nous obligent à identifier avec précaution les informations et les experts cités, à faire apparaître clairement les sources et à révéler les potentiels conflits d’intérêts.
  7. Révéler les stratégies produites pour semer le doute dans l’esprit du public. Certains intérêts économiques et politiques œuvrent activement à la construction de propos qui trompent la compréhension des sujets et retardent l’action nécessaire pour affronter les bouleversements en cours.
  8. Informer sur les réponses à la crise. Enquêter avec rigueur sur les manières d’agir face aux enjeux du climat et du vivant, quelle que soit leur échelle d’application. Questionner les solutions qui nous sont présentées.
  9. Se former en continu. Pour avoir une vision globale des bouleversements en cours et de ce qu’ils impliquent pour nos sociétés, les journalistes doivent pouvoir se former tout au long de leur carrière. Ce droit est essentiel pour la qualité du traitement de l’information : chacun•e peut exiger de son employeur d’être formé•e aux enjeux écologiques.
  10. S’opposer aux financements issus des activités les plus polluantes. Afin d’assurer la cohérence du traitement éditorial des enjeux du climat et du vivant, les journalistes ont le droit d’exprimer sans crainte leur désaccord vis-à-vis des financements, publicités et partenariats média liés à des activités qu’ils jugent nocives.
  11. Consolider l’indépendance des rédactions. Pour garantir une information libre de toute pression, il est important d’assurer leur autonomie éditoriale par rapport aux propriétaires de leur média.
  12. Pratiquer un journalisme bas carbone. Agir pour réduire l’empreinte écologique des activités journalistiques, en utilisant notamment des outils moins polluants, sans pour autant se couper du nécessaire travail de terrain. Inciter les rédactions à favoriser le recours aux journalistes locaux.
  13. Cultiver la coopération. Participer à un écosystème médiatique solidaire et défendre ensemble une pratique journalistique soucieuse de préserver de bonnes conditions de vie sur Terre.
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.