Le Reuters Institute for the study of journalism vient de publier son Digital News Report 2017. Un rapport de 136 pages qui fait le tour — pays par pays — de l’état des médias entre 2016 et 2017. Première nouvelle, l’horizon semble un peu moins bouché, mais tout le monde parle de « lueurs d’espoir », pourquoi ?
C’est un exercice annuel auquel se livre le Reuters institute, qui débouche invariablement depuis quelques années sur un cahier d’une petite centaine de pages décrivant par le menu la lente agonie des médias et leur transformation digitale difficile. Si cette année n’affiche pas franchement de meilleurs auspices (la baisse de confiance continue, la capitalisation des revenus publicitaires en ligne par Google et Facebook, près de 90 %) certains signaux donnent aux acteurs du secteur l’occasion de remiser le prozac pour deux ou trois semaines.
En bref : le Digital News Report 2017
L’étude porte sur près de 70 000 personnes interrogées dans 36 pays différents.
En voici pour les anglophones un petit résumé vidéo en anglais.
Payer ? Pour quoi faire ?
La question se pose quand il semble que tous les contenus soient désormais disponibles gratuitement sur le web, du chaton farceur au sujet le plus dur sur la prise de Falloujah. Deux points ont particulièrement retenu l’attention des rédacteurs du rapport.
- Dans quelle mesure le public est prêt à payer pour l’information qu’il reçoit (et comment le journalisme peut-il être financé dans le futur) ?
- Quels sont les facteurs conduisant à une perte de confiance dans les médias ?
Si 2017 était l’année des « fake news » et de la montée en puissance des plateformes, les recherches menées par le Reuters Institute ont montré que d’autres questions valaient d’être examinée. Par exemple, si les « fake news » ont été largement exacerbée par le rôle amplificateur des réseaux sociaux, il n’en reste pas moins qu’en réalité, c’est plus la polarisation politique croissante, la défiance envers la classe dirigeante et le manque de neutralité des médias « mainstream » qui alimentent la crise de confiance envers les médias.
De même si les « bulles » d’information existent, il semble tout de même que les utilisateurs de réseaux sociaux sont exposés à une variété de sources plus grande que ceux qui ne sont sur aucun réseau.
Enfin, coté économique, la peur du AdBlock semble être largement démesurée par rapport à la réalité. Le taux d’adoption d’AdBlocker étant plutôt en légère stagnation.
Les observations clefs de l’année 2017
- La croissance des réseaux sociaux se calme dans certains pays. The winners ? Les messageries du type Whatsapp ou Telegram qui sont moins filtrées et plus privées.
- Qui sait faire la part entre le vrai et le faux ? Réponse, les journaux! 24 % des personnes interrogées les préfèrent aux réseaux sociaux.
- Près d’un tiers des personnes interrogées préfèrent éviter les informations. La raison, elles seraient trop déprimantes ou parfois perçues comme « fausses » ou biaisées.
- Le mobile remplace le bon vieux desktop partout. On comprend pourquoi, qui voudrait encore d’un truc qui pèse trois tonnes et qui reste accroché au mur ?
- Les notifications sont en croissance — surtout en France où on en raffole — avec une croissance annuelle de 8 %.
- Les « agrégateurs d’information » explosent également, surtout aux États-Unis là où Apple News est disponible.
- In bed with my smartphone, 46 % des personnes interrogées le consultent avant dormir plutôt que dans les transports.
- Good news! Les abonnements repartent à la hausse (surtout aux U.S avec l’effet Trump), MAIS seulement 1 personne sur 10 (13 %) paie pour des infos en ligne.
- Bad news, on se rappelle avoir vu une info sur les réseaux, mais la moitié des personnes interrogées ne se rappelle plus QUI a sorti l’info, les marques disparaissent du paysage.
Le Mix média change
2017 restera l’année ou les réseaux sociaux ont fait leur très grande entrée dans l’information. Les élections présidentielles U.S ont pour cela été un tournant majeur. Près de 51 % des Américains interrogés déclarent obtenir leurs infos grâce aux réseaux sociaux (une augmentation de 5 % par rapport à l’an passé). Un chiffre à relativiser puisqu’il fait partie d’un mix plus large qui inclue TV et radio ainsi que les apps d’info. Seulement 2 % des personnes interrogées aux U.S consultent les infos uniquement sur les réseaux sociaux. Évidemment, la répartition générationnelle est forte, les plus âgés préférant les médias traditionnels quand les plus jeunes sont attirés par les médias en ligne ou les réseaux sociaux.
[btx_quote author=” – Digital News Report 2017 » style=”border »]Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche restent les deux plus gros portails d’accès aux sites d’information et à leur contenu. [/btx_quote]
En tous cas, l’utilisation des réseaux comme source d’information, elle, semble faire un peu de sur-place et en certains endroits elle recule même. C’est le cas de la France qui perd 2 points avec 38 % des personnes interrogées utilisant les réseaux pour s’informer.
À contrario, les applications de messagerie font un tabac comme sources d’information passant de 15 % des personnes interrogées à 23 % en 1 an.
L’algorithme plus fort que l’éditeur
L’homme s’efface devant la machine. En tous cas, les chemins qui mènent à l’information sont désormais plus algorithmiques (54 %) qu’édités/sélectionnés par la main de l’homme. Un phénomène qui est d’autant plus vrai que l’utilisateur sera jeune (64 %) et accèdera à l’info via son téléphone (58 %). La question se pose, nos choix sont ils du coup plus limités ? Notre vision du monde plus biaisée ? Apparemment l’étude du Reuters Institute démontre que non, ce serait même le contraire. Emprunter les chemins algorithmiques offrirait plus de choix que les méthodes traditionnelles. D’ailleurs, les utilisateurs sont de plus en plus malins et connaissent mieux les codes et usages sur les réseaux. Ainsi, 45 % d’entre eux sélectionnent à la main le contenu de leur flux en enlevant ou ajoutant des utilisateurs et 30 % affinent leur flux en ajoutant eux-mêmes du contenu.
Le monde ? Vous avez dit Facebook… non ?
Côté attribution en revanche, on est loin de la situation idéale. Globalement, le rapport indique avoir découvert que si les 2/3 des utilisateurs se rappellent parfaitement bien du chemin par lequel ils sont passés pour trouver leurs infos (via Facebook, Twitter, Google, etc.) moins de la moitié se rappelle le nom des médias sources (seulement 37 % quand ils viennent d’un moteur de recherche, 47 % via les réseaux sociaux). De suite, ça rend un peu plus humble.
Mobilis in Mobile
Le mobile est en marche, mais fait un poil de sur place. Le parc dans les marchés développés stagne tranquillement même si quelques marchés ont vu des augmentations importantes (49 % en Grande-Bretagne par exemple).
En revanche en termes de consultation des News, le mobile est « The star » rejoignant pour la première fois aux U.S l’ordinateur. Certains pays comme Hong Kong, Singapour, le Chili et la Suède deviennent au passage carrément « Mobile First » (i.e que l’usage mobile dépasse l’ordinateur dans la consommation d’informations).
Évidemment, plus on est jeune, plus la transition est facile (parfois inexistante), en revanche la constante reste à la consultation alitée (près de 46 % des utilisateurs interrogés).
Dernier (mauvais) point, la vidéo.
La vidéo c’est bien, mais pas trop non plus. Après les injonctions massives des réseaux sociaux à adopter ce format (le plus souvent à leur profit) le soufflé semble un peu retomber. Quelques petites constatations pourtant :
- La plupart des vidéos consommées sont courtes (moins de 5 min).
- Toutes plateformes confondues, la moitié des utilisateurs ne voient pas de contenu d’information vidéo de la semaine.
- La plupart des vidéos consommées font partie d’un mix média plus large.
- Le live commence à prendre, mais reste une part négligeable du mix vidéo.
Le rapport pointe là du doigt une difficulté importante, la monétisation. Si sur une vidéo d’information de 30 secondes, la moitié est occupée par de la pub, fort est à parier que l’utilisateur va passer son chemin.
Le texte reste donc le format à privilégier. Deux tiers des personnes interrogées (71 %) disant consommer de l’information sous forme de texte. Un chiffre en progression notamment aux U.S et qui touche toutes les tranches d’âge. Pourtant, appuie le rapport, la vidéo reste largement privilégiée dans le mix de contenus proposé du fait de sa capacité à dramatiser l’information.
À venir : la monétisation.
Question cruciale que tout le monde tente de résoudre, la question de la monétisation occupe tout un chapitre du Digital News Report 2017. Je m’en occuperai donc dans un second article.