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Quel média pour les jeunes de 18-25 ans ?

La question est un peu large. C’est pourtant celle que je me pose depuis maintenant quelques mois. Quel média pour les jeunes de 18-25 ans ? Y en a-t-il besoin ? Pourquoi tenter de réinventer ce que les plateformes font déjà très bien ? 

Le mobile, 1er point d’accès à l’info | Photo by Obi Onyeador on Unsplash

L’histoire commence fin octobre. Je suis invité par Djela Okoko, coordinateur pédagogique de l’ECV Aix-Marseille et vieille connaissance, pour accompagner ses étudiants UX designers et graphistes à plancher sur un projet autour du journalisme. L’idée consiste à jeter les bases d’un média pour les jeunes et penser les premières briques visuelles, l’architecture, le concept tout en explorant les concepts liés (journalisme, atomic design, design thinking, etc.).

À peine arrivé dans la belle cité aixoise, je rencontre ces étudiants, frais dans leur vingtaine, tous bien décidés à donner le meilleur d’eux-mêmes pour ce projet collectif. Problème, ils ne lisent pas les journaux de presse écrite et ne les connaissent pas vraiment. Ils écoutent un peu les infos à la radio et tombent de temps en temps sur le journal de 20 heures quand leurs parents y jettent un œil. Leurs infos, ils les glanent principalement sur twitter, Facebook ou Instagram. Leur temps online se consume à scroller les recommandations YouTube, à partager quelques messages sur Snapchat. Rien d’illogique, ce sont de jeunes adultes bien dans leur temps et leurs baskets que la presse a cessé d’attirer faute d’arguments valables et — probablement — d’envie. Il faut dire que l’audience des 18-25 est volatile, c’est le temps du changement, de la vitesse….

Déconnexion paradoxale

En fait, aucun d’entre eux n’avait connaissance d’Al baghdadi, ni de son rôle, ni même de sa mort pourtant récente et encore débattue sur les plateaux TV. Aucun d’entre eux ne comprenait les implications de cette annonce américaine. Ils n’en étaient pas fiers. Certains semblaient même mortifiés de ne pas être « au courant ». Pendant nos discussions, menées avec l’aide de Myriam Aklil, journaliste et réalisatrice indépendante, il est apparu que la plupart d’entre eux vivaient cette déconnexion à l’information de façon très personnelle, presque comme un handicap, un atout manquant qui pénalisait leur entrée dans le monde adulte.

Bien sûr que la plupart souhaitaient être informés. Bien sûr que tous avaient conscience du rôle de l’information dans leur compréhension du monde. Mais tous disaient également que rien n’était fait pour eux. De cette semaine de travail ont éclos trois projets qui m’ont particulièrement marqué et dont les noms 5W, .jpg et dose reflètent bien les préoccupations de leurs concepteurs. C’est probablement l’équipe de 5W qui m’a le plus touché tant leur approche de la problématique imposée et leur ressenti face à ce manque de connexion à l’information était humain et sensible. C’est certainement celui-ci qui m’a fait m’interroger sur les raisons de ce désamour entre la presse écrite/online et ces jeunes adultes.

Un besoin ignoré

Depuis quelques années, d’abord aux États-Unis puis partout ailleurs en occident, la presse a entamé une campagne de séduction pour regagner des lecteurs, des abonnés et donc sous. Engagement, relations, liens, proximité, empathie, adhésion ou soutien, tous ces mots sont de retour dans beaucoup de rédactions et c’est tant mieux. Différentes initiatives ont vu le jour, The Member Ship Puzzle project ou l’Engaged Journalism Accelerator Hearken comptent parmi ses projets essayant de raviver la flamme entre les journalistes et le public.

Reste que les 18-25 ans, les jeunes, ceux que j’ai rencontrés à Aix-en-Provence ou ceux que je rencontre certaines fois à Paris, me disent toujours la même chose. Selon eux, le problème se pose en ces termes, les journaux ne disposent pas d’offre adaptée. Rien qui ne leur parle, rien qui ne soit à leur portée.

Voici les principaux points de frictions qu’ils rencontrent :

  • Des articles trop longs, des textes trop denses, sans respirations suffisantes.
  • Un vocabulaire souvent trop complexe, alambiqué, pas assez expliqué.
  • Pas d’accroches intéressantes,  le visuel se réduit à un minimum.
  • Très peu de vidéo
  • Des marques prestigieuses « trop élitistes » qui marque le signe d’un entre soit, d’un manque d’écoute ?
  • Pas d’accompagnement, pas de pédagogie. Le lecteur doit avoir conscience à tous moments de l’état du monde, pas de rappel théorique des notions complexes, pas de rappel historique du cours des évènements.
  • Des interfaces souvent moches, trop grises ou trop blanches et peu attractives.
  • Pas de discussion possible et une autorité intimidante.

Évidemment on ne saurait faire de ces critiques — émanant d’un petit groupe d’une trentaine de personnes — une généralité absolue sur le comportement des jeunes envers les médias et plus particulièrement la presse écrite. L’abord de la presse écrite et des médias en général est certainement plus divers que la somme de ces témoignages. Il se trouve qu’une récente étude de la BBC sur le sujet corrobore ces remarques :

  • Les 18-25 ans picorent les infos, mais creusent plus profondément quand ils sont intéressés
  • Ils veulent comprendre des histoires complexes
  • Ils veulent lire une histoire au même endroit
  • Ils veulent de l’aide pour se forger une opinion
  • Ils veulent un choix de médias adapté au contexte

L’étude de l’agence Flamingo commandée par le Reuters institute en 2019 et intitulée « How Young People Consume News and The Implications For Mainstream Media » 1 How Young People Consume News and The Implications For Mainstream Media, A report by Flamingo commissioned by the Reuters Institute for the Study of Journalism, Oxford University confirme ces remarques préalables. Les individus de moins de 35 ans voient les infos réellement différemment que leurs aînés. Ils considèrent les informations diffusées assez peu pertinentes et ont tendance à chercher celles qui vont leur servir directement. Point d’accès naturel, les réseaux sociaux répondent pour le moment à leurs attentes de consommation et deviennent un point de ralliement quand un évènement important survient.

Quelques références

Captures d'écran de l'app ThisMuchIKnow

Captures d’écran de l’app #ThisMuchIKnow.

Au cours de cet atelier, nous avons parcouru bien des références, mais les trois les plus pertinentes en termes d’interface, d’intention et de proximité sont #ThisMuchIKnow 2 #thismuchIknow sur l’App Store , Peil 3 Peil sur l’App Store, l’expérience que VG.no a créée pour son longform The Tinder Swindler 4 The Tinder Swindler, VG, février 2019 , et bien sûr The Outline 5 le site The Outline

#ThisMuchIknow est une app prometteuse à l’interface parfois un peu grasse, mais pleine de bonnes idées. Daily digest, Quiz et autres modules interactifs, un chat possible avec les journalistes derrière l’app, l’objectif de l’app est de transformer en action positive la lecture des infos.

Peil est un ovni, une expérimentation de VG 6 https://www.vg.no, groupe Schibsted un des meilleurs médias norvégiens. Basé sur une interface proche des stories, photo plein écran, petits indicateurs de défilement, l’app a été conçu en recueillant les retours utilisateurs et ne fait pas l’objet d’une promotion intense. L’ensemble est plutôt intéressant à consulter bien que la direction artistique soit des plus austères.

The Tinder Swindler se distingue tant par l’expérience qu’il procure que par le contenu éditorial qui vaut qu’on s’y attarde. L’ensemble repose sur une narration en mode stories, mélangeant vidéo, texte, photos, le tout au service de l’histoire qu’on swipe frénétiquement.

The Outline se démarque par son approche barrée, agrémentée d’une direction artistique particulièrement pop et un brin provoc parfois. Les sujets correspondent au ton visuel. Le ton propose une expérience qui s’éloigne bien des standards très (trop) frisquets des publications traditionnelles.

Alors que faire ?

En France, le Monde tente une approche avec sa matinale, ses formats Snapchat (meilleurs au début que maintenant, plus sérieux). D’autres publications ont également fait une apparition sur Instagram ou Snapchat, le temps d’une expérimentation ou pour plus longtemps. Reste que ces initiatives ne collent pas vraiment au cahier des charges vu plus haut et satisfont d’avantage les 25-35 ans (voire plus âgés) sans réellement convaincre par ailleurs.

Par ailleurs, parier sur une implantation solide sur les réseaux sociaux éloigne les lecteurs des canaux contrôlés par les marques et ne permet pas d’expérimenter plus avant tant les contraintes sont fortes sur ces plateformes. Perdre le contact avec ses lecteurs, ce n’est clairement pas la bonne stratégie à adopter.

Rien ne protège non plus contre les effets de mode. Rien ne dit qu’une plateforme qui apparaitrait à l’avenir ne pourrait pas capter ces publics avides de nouveauté. Tout l’investissement réalisé sur les réseaux sociaux partirait en fumée. Sans parler du fait qu’on ne peut convertir en futur abonné un lecteur avec lequel on n’a pas tissé de relation commerciale, même minimale.

La carence des offres médias pousse ces jeunes vers d’autres canaux, vers YouTube ou Instagram, où ils découvrent d’autres types de contenus maniant — mieux que les médias traditionnels — une narration moderne, mobile, adaptée aux codes culturels de ce jeune public.

Notes :

Notes :
1 How Young People Consume News and The Implications For Mainstream Media, A report by Flamingo commissioned by the Reuters Institute for the Study of Journalism, Oxford University
2 #thismuchIknow sur l’App Store
3 Peil sur l’App Store
4 The Tinder Swindler, VG, février 2019
5 le site The Outline
6 https://www.vg.no, groupe Schibsted
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.