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Horizon 2020, le New York Times présente sa stratégie.

Le navire amiral de la presse Américaine vient de publier un rapport qui annonce un renforcement majeur de sa stratégie numérique et une bascule de mentalité qu’il serait bienvenu d’entre apercevoir ici en France. Plan projeté sur les trois années à venir, ce programme – qui tient presque du manifeste – annonce les transformations à venir et beaucoup de bonnes nouvelles pour les collaborateurs du titre désormais séculaire. 


Rédigé par le “2020 group” composé de sept journalistes spécialement mandatés pour collecter les doléances, retours et analyses de l’ensemble des services du New York Times, ce rapport trace le chemin digital des prochaines années. Galvanisé par les 41,000 nouveaux abonnements de l’après élection de Donald Trump, le NYT se lance dans un vaste chantier de conquête des abonnements, de recrutement, de formation et d’harmonisation de ses pratiques et ce dans un unique but: pérenniser le NYT et en faire LA référence internationale du journalisme, du vrai.
Cinq parties découpent le rapport missionné par Dean Baquet, une consacrée à un état des lieux plutôt flatteur pour le titre New Yorkais, une autre consacrée au rapport lui même, puis au Staff du NYT, à sa façon de travailler et enfin à une synthèse de réponses. Certaines de ces lignes font penser au discours d’Ed Murrow prononcé devant la RTDNA en 1958 tant l’accent est mis sur la place du “lecteur” (faut-il encore nous appeler comme ça?) et sur la qualité du journalisme produit. Un quasi-manifeste qui donne un peu de frais à une industrie en proie aux doutes et aux fakes news.

User centric approach.

Premier point notable du retournement stratégique du New York Times, la pub semble avoir perdu son statut de pourvoyeur de revenus. La qualité du journalisme est mise en avant comme un argument déclencheur d’abonnement et tout l’effort se porte désormais sur le lecteur online.

Le passage au digital s’est plutôt bien passé – malgré nombres hésitations entre l’adoption d’un modèle basé sur le “tout gratuit”, un modèle freemium et finalement un modèle sur abonnement – ce qui a permis au Times de générer en 2016 près de 500 millions de $ de revenus en 2016. L’objectif, atteindre la barre des 800 millions d’ici à 2020. Outre le fait que la dynamique de l’abonnement assure une indépendance éditoriale bienvenue à l’heure où Donald Trump prends ses fonctions de 45ème président des États-Unis, elle permet d’échapper à la tyrannie de la “page vue” et aux CPC et autres CPM trop faibles pour assurer la survie de mastodontes comme le Times. Une stratégie que d’autres semblent également adopter, Medium annonçait récemment revoir son modèle économique et s’éloigner de la publicité pour envisager un système par abonnement. Une façon de se rapprocher de ses lecteurs/utilisateurs et de recréer un lien plus fort.
Le “2020 group” a constaté que les articles les moins performants étaient les plus sobres, ceux proches de la concurrence, sans valeur ajoutée, dépourvus d’éléments multimédias sans beaucoup de photographies. La réponse du Times est donc la suivante:

  • Mettre en scène l’info de façon bien plus visuelle en renforçant la coopération entre rédacteurs et équipes “graphique” (photo, graphisme, vidéo)
  • Mixer les contenus et les formats afin d’attirer un public plus divers en offrant différents points de contacts du type Newsletter, Videos, Forums.
  • Se tourner vers le journalisme de service. En bouleversant le modèle hérité des années 70 plus focalisé sur l’attraction de la publicité que sur le service rendu aux lecteurs, le Times cherche à fideliser le lecteur notamment à l’aide de tutoriels et de rubriques lifestyle remaniées.
  • Engager d’avantage le dialogue et l’interaction avec les lecteurs. Pour échapper à l’emprise de Facebook et autres aspirateurs à interaction et renforcer l’engagement des lecteurs avec le staff éditorial, notamment en valorisant les articles les plus commentés.

Un nouveau Staff, mieux Formé.

Là aussi – et ça fait plaisir – le NYT a compris qu’on ne faisait pas d’omelette sans casser des oeufs. Il faut du monde pour produire un journal de cette qualité, du monde qualifié et exigeant, compétent et versatile, capable de comprendre les codes du web et d’en jouer pour produire de l’information de qualité. L’ambition est donc de faire monter ses staffers en compétence et de transformer le visage de sa rédaction pour lui donner une teinte plus moderne, dirait-on plus “Digital Native”.
C’est donc un peu à marche forcée que le staff du Times va devoir se former aux nouvelles écritures, au code, à la data-visualisation et à toutes les nouvelles formes de journalisme interactif. Le changement est en marche et chacun est prié de remiser le journalisme “à la papa” dans le placard. Bien entendu, il est ici question de technique, pas d’éthique ni de journalisme au sens strict.
Le recrutement est aussi un élément clef du renouveau du Times. Experts, journalistes reporters hyper spécialisés (peut être des unités Mojo pour être plus flexible), l’effort du journal pour apporter du sang neuf à la rédaction est visible et bienvenu. Un effort constant sur la diversité de la newsroom va être conduit afin d’apporter également de nouveaux points de vue et la relation avec les freelances capables de produire des contenus forts va être renforcée.

Un management de “risk taker”

Le poids des rédactions papiers se fait toujours très – trop – lourdement sentir dans ce type de titres. L’héritage est lourd à porter, les habitudes ancrées fortement et le numérique peine toujours à se faire une place, causant désorganisation et confusion. Le Times s’oriente là aussi sur une refonte – voire une révolution – des mentalités.

  • Priorité au journalisme.
  • Mais sans oublier le public, les lecteurs.
  • En répartissant au mieux l’activité des opérations et des collaborateurs.

Enfin la préparation des articles est remise à l’honneur, le NYT va se concentrer d’avantage sur la conception de leur “News Product” en axant la réflexion sur l’angle, le choix du/des formats, des narrations etc pour tirer maximum partie des stratégies de recrutement et de structuration de contenus évoquées plus haut.

Ouf!

Qu’il est bon de voir le New York Times se ressaisir du futur et – sembler – ne plus craindre le web et ses dépendances. Clairement, la situation conjoncturelle du Times reste de loin bien meilleure qu’une majorité de titres occidentaux mais ce qui est frappant de constater à l’issue de la lecture de ce rapport du “2020 group” c’est que le plus gros changement ne vient pas de la technique ou des investissements. Non. Le plus gros des changements est avant tout culturel. Le New York Times réussi là où tous les autres échouent encore, il réussit à transformer sa culture en menant une réflexion transparente sur sa situation et son devenir. Une leçon que beaucoup devraient apprendre.

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.