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Fin de la lune de miel entre Facebook et les médias

Post mis à jour le 14.01.18
Explore, le nouvel onglet de Facebook dédié aux pages n’est plus seulement un test, il signe la fin de l’idylle parfois mouvementée entre la plateforme de Zuckerberg et les médias. Dans un article de Digiday, un éditeur avoue que Facebook a renoncé à la presse.


Dans une interview publiée sur DIGIDAY UK le 4 janvier, la source de Max Willens, journaliste spécialiste des plateformes, annonce que Facebook lui a recommandé de ne plus investir de temps et d’énergie sur ses outils. En quelques phrases, l’article explique qu’un représentant de la firme de Menlo Park a déconseillé à demi-mot le pivot « tout-vidéo » que bien des éditeurs opèrent depuis plus d’un an, persuadés de l’opportunité que représente Facebook. L’interview continue en prévenant d’ailleurs que :

“If I were you, I would probably not rely on Facebook as much as you are.”

Clairement, la politique de soutien des médias de la part de Facebook touche à sa fin. Aux États-Unis comme en France, comme partout ailleurs, Facebook a décidé de mettre fin à la relation de partenariat qui l’unissait aux titres de presse « poussant » des contenus vidéo sur leurs pages. L’onglet Explore, testé fin 2017 dans 6 pays différents, semble voué à devenir la nouvelle maison des pages à vocation commerciales, à l’instar du Discover de Snapchat. Le tout répond à l’objectif de recentrement sur la communauté et les utilisateurs que Zuckerberg souhaite voir mis en place dans les mois qui viennent.

Un nouveau challenge, de nouvelles stratégies

Pour ceux qui auront investi leur chemise dans les outils de publication offerts par Facebook (les Instants Articles, les pages, la vidéo, la VR) le futur semble assez sombre. Rien ne permet en effet d’espérer un quelconque retour sur investissement, que ce soit à travers un partage de revenus ou un transfert de visiteurs. Rien à attendre, en tous cas sans débourser le premier euro. Il s’agit donc pour les médias de changer de fusil d’épaule.
Nouvelles règles, nouvelles stratégies. Les médias qui souhaitent encore exister sur Facebook malgré cette petite trahison, vont devoir revoir leur politique de contenus. Une des solutions pourrait être de mettre en place des émissaires sociaux au sein des rédactions qui — via leurs profils nominatifs — seront chargés de propager les contenus auprès de leurs connexions et dans leur cercle d’influence. À la manière de Twitter, ces journalistes « certifiés » devront développer une nouvelle expertise de Social Reach pour faire connaitre les contenus de leurs titres respectifs. Dans l’adversité il faut savoir déceler le positif. Un travail de proximité sur les réseaux à travers ces envoyés spéciaux permettrait sans doute de restaurer le lien entre un titre et son public, tout en mettant en avant le travail de ses journalistes.

Les présentateurs du 20 h de 2020 seront-ils ces journalistes d’un nouveau genre, capables de connecter leurs followers avec l’info produite par leurs titres ?

Reste que coté éditeur, il va falloir se désintoxiquer progressivement de la plateforme et apprendre à voir les réseaux non plus comme la panacée de la distribution de contenus sur le web, mais bien comme un outil à utiliser avec parcimonie. Repenser la distribution de sa production, repenser sa relation aux lecteurs, améliorer l’expérience des visiteurs, apprendre à les séduire, à les retenir, penser à les convertir en lecteurs payants, voilà une partie des challenges à venir.
De nouvelles compétences sont nécessaires au sein des rédactions pour à la fois faire le lien avec ce public captif des plateformes sociales. Des compétences qui supposent de nouvelles organisations, de nouvelles approches, de nouvelles expériences et de nouvelles formations.

Effet collatéral, le repositionnement de Facebook sur les interactions entre amis augmente la prolifération des Fake News

(M.A.J) On apprend d’ailleurs via le New York Times que dans certains pays, l’expérimentation « Explore » a provoqué une recrudescence des infos toxiques sur le réseau. Le phénomène s’explique par le fait que les utilisateurs préfèrent partager des infos sensationnelles, au format court et percutant et au titre racoleur. Un format sur lequel les fake news sont systématiquement construites. Sans contrepoint, ces infos prolifèrent et se répandent comme une trainée de poudre créant des situations ubuesques.
Filip Struhárik, journaliste au Dennik N, un journal slovaque qui a subi les effets de l’onglet Explore — raconte qu’une fausse info partagée par les utilisateurs indiquait qu’un attentat devait être commis pour Noël dans la capitale slovaque. Cette « info » s’était rapidement propagée sur le réseau provoquant un début de panique. Afin de calmer le jeu, les autorités avaient publié un démenti sur leur page officielle. Peine perdue, le post publié n’avait eu aucun effet, l’algorithme de Facebook l’ayant confiné à l’onglet Explore où le contenu des pages officielles apparait désormais.
L’impact de la décision de Zuckerberg est donc loin d’être marginale. Il faut espérer que Facebook prenne conscience de ses responsabilités vis-à-vis de ses 2 milliards d’utilisateurs et affine son algorithme pour faire la différence entre les contenus d’intérêt public et ceux dont l’objectif est clairement nuisible.
L’article de Digiday: Facebook will “completely deprioritize publishers”

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.