D’une voix pressée le producteur/animateur de l’émission la plus cotée de la radio américaine WBEZ raconte depuis 1995 sur les ondes et online, des histoires toutes plus captivantes les unes que les autres. Cap sur le Middle West en compagnie d’un des plus grands storyteller américains contemporain.
Créateur du Podcast « This American Life » et producteur d’un autre plus récent succès avec « Serial », Ira Glass a développé en une dizaine d’années un style unique. Ses émissions (initialement diffusées sur WBEZ) totalisent près de 2,2 millions de téléchargements par semaine et sont diffusées sur près de 500 stations aux États-Unis. Si vous ne connaissez pas ce show radio et qu’une petite heure s’offre à vous, téléchargez vite un des épisodes.
On entre dans ces morceaux de vie américaine comme dans une conversation, ça sent le « diner » en fin de soirée quelque part dans la banlieue de Chicago, quand quelques clients sirotent encore un Coca au comptoir. Le gras colle aux chaussures, les voix se font murmures et on discute de soi, des autres, on rit et parfois la voix s’étrangle d’émotion. Les épisodes de « This American Life » semblent mettre en vie les tableaux d’Edward Hopper. Ultra-réalistes, carrés, chargés d’émotion et de couleurs, les histoires se suivent et ne se ressemblent pas.
Articulés en trois actes, tournés autour d’une thématique, les épisodes de « This American Life » sont manufacturés avec soin sur une période parfois allant de quelques semaines à plusieurs mois. Interviews, écriture, montage toutes les histoires racontées se construisent sur une base narrative dont la structure principale rappelle la poétique aristotélienne matinée d’un zest de nervosité et de rythme plus contemporain.
L’histoire, introduite le plus souvent par la voix de Glass, prend le plus souvent racine dans une anecdote, une de ces histoires incroyables et pourtant communes à notre humanité, qu’on écoute sans décrocher. Puis la voix de l’autre, le personnage de l’anecdote, qui intervient sans jamais faire intrusion. Elle prolonge l’anecdote, apporte du détail, du corps au récit. Elle donne à voir et à sentir. Bien souvent son « segment » vient compléter la phrase scriptée. « This American Life » excelle dans la construction des récits. Les moments incroyables sont préservés, rien ne se livre facilement, il faut suivre le fil du temps, accepter les respirations, les silences, pour découvrir le dénouement de chaque histoire qui ne tombe jamais dans un moralisme surfait.
Une Technique.
« Nobody tells this to people who are beginners, I wish someone told me…. tous ceux qui ont un travail créatif, nous faisons cela parce que nous avons bon goût. Mais il faut franchir une marche. Les premières années vous faites des trucs, mais ça n’est juste pas très bon. Ça essaie d’être bon, ça en a le potentiel, mais ça n’est pas encore bon. En revanche, votre goût lui reste à la pointe, cette différence entre votre goût et ce que vous faites, c’est de là que vient la frustration. La plupart des gens ne dépassent pas cela et abandonnent. » explique Ira Glass. La suite de son raisonnement est le suivant, ceux qui excellent, sont tous passés par cette phase, mais eux, n’ont pas abandonné, ils ont travaillé, d’arrache-pied, se sont battus, ont essayé de comprendre et d’apprendre de leurs erreurs.
Dans un manifeste confession, Ira Glass livre ses recommandations pour les plus passionnés. Travailler beaucoup et réaliser le plus d’histoires possible, sélectionner les meilleures histoires, les plus vivantes, celles donnant le plus à voir. À l’instar des poètes de l’Oulipo, s’imposer des contraintes créatives pour pousser plus loin sa compréhension du médium et de la narration.
Comme n’importe quel grand créateur, Glass pousse à l’imitation avant l’interprétation, reproduire le travail des meilleurs est souvent un exercice formateur pour déconstruire leurs techniques et trouver sa propre voie. Enfin travailler son histoire. Savoir reconnaitre ce qu’est une bonne histoire et celle qui n’en est pas une. Comprendre les structures, le rythme, la vitesse, pour utiliser ces éléments au montage et jouer une partition qui résonne au cœur de chacun.
Pour faire le tour de la question.
Cela fait déjà près de 10 ans que je suis devenu addict aux épisodes de « This American Life » et je ne saurai que trop vous recommander les lectures et visionnages. Pour commencer, deux lectures qui vous plongeront au cœur de l’atelier d’écriture mené chaque semaine par Ira Glass et son équipe. Chose curieuse, l’une d’elles — « Out on the Wire » de Jessica Abel — s’offre sous forme de Bande dessinée, un format très adapté à la radio comme le montrent ces deux superbes projets pour 127 rue de la Garenne, le bidonville de la folie de Laurent Maffre et France Info. Seconde lecture online le Manifesto d’Ira Glass complet sur Transom.org.
Autres ressources pour les aficionados de podcast et de storytelling, l’équipe de Transom.org (encore eux) anime un podcast sur la fabrication de ces épopées sonores sur Howsound.
Dans une série de vidéos produites par Current.com, Glass livre son point de vue technique et personnel sur le storytelling. Une approche emprunte d’une empathie indéniable à l’égard de ses sujets et des thématiques qu’il choisit de traiter. Thématique qu’il précise par ailleurs être un prétexte donné à l’auditoire pour s’asseoir et prendre le temps d’écouter les histoires qu’il amène à la vie.
En France, la vague des podcasts se confirme, inspirés par les récents succès de « Serial », on voit ici et là fleurir quelques initiatives très intéressantes, bien que pour l’instant positionnées sur des registres un peu différents. Ainsi Joël Ronez et Gabriele Boeri-Charles ont lancé la chaine de podcasts Binge.audio et l’inénarrable Pascale Clark a lancé BoxSons en avril 2017. Une histoire qui va faire des ondes un terrain de jeux idéal pour le journalisme digital.