Plus question aujourd’hui de considérer que l’information circule comme elle le faisait, il y a même 20 ans. L’apparition des Internets, l’accélération technologique et les très (trop) fameuses conjectures de Moore ont transformé la façon dont le public, accède et consomme l’information. Le smartphone et la tablette supplantent les versions papiers des éditions quotidiennes de tous les journaux occidentaux, la mobilité devient clef et le rapport aux « nouvelles » ne se fait plus dans un seul sens, mais devient hautement interactif. Le public attend un renouveau du journalisme dont il questionne de plus en plus l’autorité « morale » tout en souhaitant encore y voir une référence, un guide, un vecteur de compréhension.
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La presse et le journalisme font face à plusieurs défis de taille. La survie économique des titres en est un majeur puisque sans eux, il est difficile d’envisager sereinement une vie démocratique normale et saine. L’adaptation aux usages et aux demandes des utilisateurs de la part des journalistes constitue le second challenge, tant les habitudes héritées du 20e siècle sont ancrées dans les têtes et dans les cœurs des professionnels de l’information.
Longtemps cantonnés au rang de créateurs de contenus, les journalistes doivent apprendre à penser l’information dans toutes ses dimensions et doivent se voir comme designer d’information. Il doit transformer ses pratiques, emprunter à d’autres secteurs d’activité les processus d’idéation, de travail, les approches méthodologiques de conception et de design bien souvent rencontrées dans les entreprises de la Silicon Valley.
Cette transformation, cette mutation ne doit pas être soutenu par un désir d’être à la page, mais bien par une volonté profonde d’améliorer et de renforcer le lien entre un public — qui a besoin de plus en plus de comprendre, mettre en perspective et agir sur le monde qui l’entoure — et une presse qui doit se réformer en profondeur afin de retrouver un compas moral, éthique et professionnel adapté aux demandes contemporaines. Il est temps de redéfinir les missions du journalisme, de l’orienter vers le service à la communauté (comme le souligne Jeff Jarvis), de changer les dynamiques de travail pour les recentrer sur la production collaborative de contenus et enfin d’accepter cette mission de capacitation des individus, chère aux Anglo-saxons et que nous serions bien avisés de reprendre à notre compte.
En cela, le design constitue notre meilleur allié. « Un des rôles du design est de répondre à des besoins, de résoudre des problèmes, de proposer des solutions nouvelles ou d’explorer — des possibilités pour améliorer la qualité de vie des êtres humains ». La technification des pratiques du journalisme doit reposer sur des connaissances solides de ces techniques et des environnements dans lesquels elles s’épanouissent. Il est temps d’oublier la classification désuète de journaliste 2.0, bimédia ou web (longtemps utilisée pour valoriser les formations) et de former les professionnels à la culture et au maniement des outils modernes de transmission de l’information qui dépassent aujourd’hui la plume, le micro, la caméra ou l’appareil photo.
Designers d’information : les trois axes de développement
Le rôle du journaliste dans notre société tourne désormais autour de trois axes majeurs : l’information, l’éducation et l’action.
L’information — évidemment primordiale — doit se déployer à travers tous les canaux disponibles aujourd’hui et demain. Elle doit être taillée sur mesure, pensée, élaborée pour correspondre à la fois aux usages, aux terminaux où le public la consulte et aux spécificités de l’histoire qu’elle porte. Pour ce faire, le journaliste doit donc devenir Chef de Projet, une sorte de « Super Designer » de l’information et savoir construire sa narration au fil des plateformes pour accompagner le public dans sa découverte quotidienne et lui éviter l’infobésité dont il est victime aujourd’hui.
L’éducation correspond à l’analyse profonde des contextes et la mise en perspective des évènements dans un but permanent de « formation citoyenne » à la lecture de l’information « chaude ». Là encore, le journaliste scénarise l’information pour lui donner profondeur et sens.
L’action, dernière addition à ce triptyque, tient plus de la capacitation, c’est-à-dire le processus par lequel l’individu acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper et d’agir. Cette capacitation, permet de résoudre la tétanie provoquée par l’accumulation de nouvelles terribles et de donner au public une voie d’échappatoire, de réintroduire l’initiative au cœur du débat, de rendre un peu d’autorité sur les choses à un public désemparé.