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Macron veut une loi anti Fake News

La bataille continue sur le front des infos toxiques, les fameuses « Fake News » sont désormais dans le collimateur du gouvernement français. Emmanuel Macron a annoncé à l’occasion de ses vœux à la presse la création d’une loi « anti-fake-news » dont l’objectif serait de « bloquer » les informations douteuses pendant les périodes électorales, ce qui n’est pas sans poser quelques questions.


C’est donc sous les ors de la république qu’Emmanuel Macron a présenté à l’occasion des traditionnels vœux à la presse son ambition de lutte contre les informations toxiques, les fake-news. L’idée pourrait être louable si elle n’était pas vouée à l’échec et surtout synonyme soit d’une méconnaissance de ces questions, soit d’une habile manœuvre pour éviter de parler de sujets plus sensibles (cf. la réforme de l’audiovisuel français).

Les vœux à la presse d’Emmanuel Macron — 2018
Faut-il rappeler ce qu’est une info toxique ? J’ai déjà abordé ce sujet dans le dernier épisode de “Wires & Lights in a Box », mais pour faire court, les fausses informations sont des informations véhiculant des faits altérés, inexacts ou complètement inventés, délibérément créées pour tromper le lecteur.

L’état de la loi en France

affiche de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse redondante avec la proposition MacronEn France, c’est la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui condamne depuis 137 ans la « publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi (SRC : legifrance) » et plus récemment la loi « de confiance dans l’économie numérique de 2004 » qui approche la question de façon plus vague, mais inclue la responsabilité des opérateurs du web du type fournisseurs d’accès. L’arsenal législatif s’active dès lors que le délit intervient sur le sol français et/ou est perpétré par un ressortissant.

La proposition d’Emmanuel Macron

La loi proposée par le Président n’est donc en cela qu’une couche supplémentaire. Par ailleurs, le texte envisagé soulève quelques limites : il semble être bornée dans le temps (en période électorale) et de facto géographiquement (la loi française ne s’appliquant qu’en France) ce qui sur le net ne veut rien dire du tout puisque toutes sortes d’opérateurs peuvent être visible depuis la France sans y être installé, ni même appartenir à la même citoyenneté.
Autre disposition proposée par Mr Macron, la divulgation de l’identité des annonceurs et de ceux qui contrôlent les fausses informations. Nul doute que les avocats des compagnies californiennes ont eu vent de la directive adoptée par le parlement européen en 2016 sur le secret des affaires, comme également de la prochaine entrée en vigueur de la RGDP qui renforcera la protection des données des utilisateurs.
Enfin l’extension du champ de compétence du CSA pour agir sur le web, pourrait être une solution si celui-ci était doté de véritables experts dans le domaine numérique, ce qui n’est pour l’instant pas le cas. Reste la question de la temporalité de la sanction qui est clef dans le dispositif proposé. Aucune instance, aucun juge ne semble aujourd’hui équipé pour réagir aussi prestement que le web l’exige. Outre le défaut de moyens chronique de la justice française, on peut douter que la célérité d’un juge soit la même que celle d’un hacker ou d’un pro de l’info toxique basé en Ukraine ou en Macédoine. Les procédures sont longues, les dossiers doivent être constitués, les pièces réunies et la moindre injonction prends au moins 1000x plus de temps que de créer une page sur Facebook.

Les plateformes

Le phénomène des « Fake News » est assez lié aux plateformes de réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter, ou à Google qui en bénéficie plus ou moins directement du fait de leur modèle économique. Si les initiatives se sont multipliées coté GAFAs pour montrer leur bonne volonté à réduire l’impact des infos toxiques sur le débat publique, certains dénoncent de ce côté ci également une mesure purement cosmétique. La question centrale reste celle du modèle économique de ces plateformes qui ont tout misé sur la publicité (près de 60 % du marché aux États-Unis capté par Facebook et Google) et pour qui le click, synonyme d’engagement, constitue le fuel sacré de la plateforme, générateur de cash. Il suffit de voir Simon Milner, un des responsables anglais de Facebook UK interrogé par Darragh MacIntyre de la BBC, pour constater une certaine gêne à dévoiler la part exacte des revenus générés par la propagation d’infos toxiques sur le réseau.

La proposition d’Emmanuel Macron ressemble donc plus à un effet d’annonce qu’à une mesure concrète, pensée pour résoudre un problème identifié. Car le problème est réel. Si une étude publiée au printemps dernier par Matthew Gentzkow de la Stanford University et Hunt Allcott de la New York University, montre que l’impact direct sur la campagne présidentielle américaine de 2016 est assez faible, il n’en reste pas moins que le phénomène des informations toxiques est préoccupant pour la bonne santé du débat public et des démocraties.
Dernière anecdote en date, un vrai sondage de l’IFOP montre que près de 9 % des Français croient que la terre est plate. Une nouvelle étonnante qui a suscité quelques interrogations tant les résultats semblent aberrants par moment. Le site « Arrêt sur Images » (qui est en refonte complète) revient sur en détail sur cette info qui joue dans les zones grises du vrai et du faux.
Que serait l’effet de la « loi anti-fake news » d’Emmanuel Macron sur ce genre d’infos… il serait probablement nul.

Quelles actions alors ?

Comme le soulignait Antonio Casilli lors de son intervention au Numa à Paris en janvier 2017, « les fake news ne se résument pas uniquement à de l’intox ou de la mal-information, c’est aussi l’interaction sociale qui les accompagne. » Agir sur les Fakes News sans considérer la mécanique de propagation ou le design malicieux des plateformes conçu pour optimiser le partage des contenus à haut rendement, c’est placer un cautère sur une jambe de bois. Ce design, que certains ex-employés dénoncent dans des interviews récentes, exploite la faiblesse de ses utilisateurs et sert un modèle économique qui ne fait aucune place aux questions éthiques, à l’exception de celles qui peuvent entrainer des poursuites.
La dimension éthique et économique des Fakes News et la responsabilité des réseaux sociaux a d’ailleurs été questionné par le Sénat américain en septembre 2017 à l’occasion d’une audition parlementaire. Les réponses des cadres dirigeants présents, pour le moins vagues, n’ont pas suscité l’enthousiasme et ont amené certains à réagir en préconisant — pour les plus concernés — le démantèlement de ces compagnies titanesques.
À tout le moins, la première des actions logiques serait de légiférer au niveau européen et d’imposer aux plateformes des comportements plus éthiques, notamment en organisant un contrôle systématique de la légitimité et de la bonne foi des annonceurs, peut être en « vérifiant » leur existence légale et leur activité. Après tout, certains profils Facebook sont d’ores et déjà « vérifiés » pour certifier que l’identité des personnes correspond à leur double digital. Mine de rien, si une législation européenne était accompagnée de sanctions réelles, le risque pour les Facebook and co reviendrait à mettre en danger leur présence au sein d’un marché comptant près de 743 millions d’habitants.
Faire porter la responsabilité des infos toxiques sur les seules épaules des journalistes, c’est un peu leur demander de vider l’océan à la petite cuillère pour le compte de géants qui refuseraient de se mouiller les mains. Penser que l’état peut remédier à un problème d’ampleur internationale dans le cadre de sa législation nationale, c’est au mieux idiot, au pire malicieux. Responsabiliser tout à chacun dans son usage des réseaux, c’est un début, mais sans un soutient pédagogique et la mise à disposition d’outils spécifiques, l’effort risque de ne concerner que les convaincus. Nous verrons les fruits que porte cette nouvelle loi.

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.