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La presse asphyxiée par le Covid-19

La presse asphyxiée par le Covid-19 subit de plein fouet la baisse des revenus publicitaires. Les ventes au numéro ne résistent pas à la fermeture de nombreux points de vente, à la presque faillite de Presstalis et au retrait de la poste. Coté lecteurs, si les abonnements sont en hausse franche, attention à l’overdose qui guette avec la surproduction d’articles sur le coronavirus.

Pour commencer, citons l’article de Jean Marie Charon sur Alternative économique qui revient sur les performances économiques de la presse pour dresser un tableau de la situation plus gris foncé, pour ne pas dire complètement cramé 1La presse écrite à l’épreuve de la pandémie” par Jean Marie Charon, Alternatives Économiques, 24 mars 2020 . Il y étudie les conséquences de l’épidémie de COVID-19 sur le secteur de la presse. En gros, recul de la vente au numéro, problèmes de distribution 2Redressement du distributeur de journaux Presstalis” par Léa Lejeune, Challenges, 20 mars 2020 revenus publicitaires en berne, une activité numérique qui ne compense pas les pertes, les évènements (qui font partie de la diversification de revenus) tous annulés.

M. Charon boucle son analyse en soulevant deux questions qui tournent autour de la même idée d’une info à deux vitesses où les inégalités sociales 3Social Inequalities in News Consumption” – PDF – par Antonis Kalogeropoulos and Rasmus Kleis Nielsen, Reuters Institute, octobre 2018 créent une plus grande division entre deux systèmes d’information.

  • D’un côté se trouvent les puissants (groupes de presse et lecteurs). Ils disposent de moyens pour faire face à la crise, pour soutenir une équipe rédactionnelle, une activité, une publication (pour les rédactions) et d’un pouvoir d’achat, d’un niveau d’éducation et d’un engagement favorable à la prise d’abonnement (lecteurs) nécessaire au soutien de l’activité d’un titre.
  • De l’autre, les plus faibles ne disposent ni du soutien d’un groupe ni d’une réserve de cash suffisante pour soutenir durablement une crise, s’adressant à un public plus restreint, peut-être de niche (les rédactions) et n’ont plus ni les ressources suffisantes ni le temps “de cerveau disponible” pour consacrer un peu de temps à la consultation de contenus d’information. Leurs seules interactions se résumeront donc à la radio, à la télévision et aux réseaux sociaux (on y trouve des choses très bien, mais aussi le pire) où ils consommeront les contenus gratuits et courts.

Une situation qui va profondément bouleverser le paysage médiatique et possiblement oblitérer un certain nombre d’acteurs si rien n’est fait pour soutenir les plus fragiles.

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La seconde info nous vient du JDD qui publie une étude de Tagaday (ex-Press’edd) 4Covid-19 : itinéraire du coronavirus dans la presse française” par Tagaday, 24 mars 2020 sur la production de la presse française concernant le coronavirus. Depuis le 1er janvier, ce sont près de 255 000 citations qui ont été trouvées dont 75 % concentrées entre le 1er mars et aujourd’hui !! L’article du JDD indique qu’en ce moment, ce sont 19 000 articles qui sont publiés chaque jour dans la presse française, une pression médiatique qui écrabouille celle que nous avions connue à l’occasion de la colère des gilets jaunes puisque le JDD rappelle qu’à ce moment “seulement” 6000 articles/jour étaient publiés 5Coronavirus : près de 19 000 articles chaque jour dans la presse française, un record” par Cyril Petit, le JDD, 21 mars 2020.

L’article ne nous donne pas la proportion de contenus originaux produits par les rédactions vs le copier/coller aussi appelé batônnage 6Bâtonnage de dépêches : Les Échos au top“, Reflets, 17 septembre 2013, mais à en croire le travail de Julia Cagé, Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé dans leur livre “L’information à tout prix” 7« 64 % de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple », par Julia Cagé et Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé, INA, 22 mars 2017 le contenu non original produit par la presse en temps normal s’élèverait aux alentours de 64 %. Dans une situation de crise telle que nous la connaissons, où le confinement a drastiquement restreint la capacité des rédactions à envoyer les journalistes sur le terrain, on ne peut que s’interroger sur le volume que ce copier/coller représente dans la production des papiers estampillés “COVID-19”. Chaque jour un papier pour montrer par le chiffre le nombre de morts, de contaminés, de guéris, de masques disponibles ou pas, de restrictions aux libertés, de points perdus en bourse, d’applaudissements le soir à 20 h en hommage aux soignants.

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Ces deux informations montrent clairement qu’un changement profond doit s’opérer dans la presse. Un changement que j’appelle de mes voeux 8Imaginer l’après crise du coronavirus pour la presse“, 2 avril 2020 et qui va devoir prendre une forme définitive. Dans la période d’après confinement, personne ne pourra faire l’économie d’une analyse méticuleuse et d’une remise en question radicale des modèles de production de l’information, de la structure économique des titres, de la relation politique de l’information avec son public et de l’impact qu’a le journalisme sur la société, les populations et les idées qui y circule.

Notes :

Notes :
1La presse écrite à l’épreuve de la pandémie” par Jean Marie Charon, Alternatives Économiques, 24 mars 2020
2Redressement du distributeur de journaux Presstalis” par Léa Lejeune, Challenges, 20 mars 2020
3Social Inequalities in News Consumption” – PDF – par Antonis Kalogeropoulos and Rasmus Kleis Nielsen, Reuters Institute, octobre 2018
4Covid-19 : itinéraire du coronavirus dans la presse française” par Tagaday, 24 mars 2020
5Coronavirus : près de 19 000 articles chaque jour dans la presse française, un record” par Cyril Petit, le JDD, 21 mars 2020
6Bâtonnage de dépêches : Les Échos au top“, Reflets, 17 septembre 2013
7« 64 % de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple », par Julia Cagé et Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé, INA, 22 mars 2017
8Imaginer l’après crise du coronavirus pour la presse“, 2 avril 2020
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.