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Trump avoue sa défaite, est-ce un deepfake?

Aux États-Unis, le 7 janvier 2021, Donald Trump a finalement accepté la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles de novembre 2020. Dans une vidéo postée sur son compte YouTube et différents réseaux sociaux, où le 45e président apparait statique derrière un pupitre officiel, Trump laisse la place non sans difficulté à Biden et Harris. Mais si lui a baissé les bras, ses partisans ont cru à une manipulation.

Le 7 janvier 2021, Donald Trump publie une vidéo dans laquelle il concède la victoire de l’élection présidentielle américaine à Joe Biden. Cette vidéo est immédiatement critiquée par les partisans de Trump. Beaucoup sur Twitter, sur Parler (le réseau social d’extrême droite américain) ou sur 4chan (un forum de discussion prisé des membres de Qanon, un réseau de conspirationnistes) soulèvent l’hypothèse que cette vidéo est en réalité un deepfake. La vidéo est pourtant authentique et a été publiée sur le compte YouTube de Trump 1 Full video dessous—Message from President Trump, 4,299,925 views • Jan 7, 2021.

Le 8 janvier, les supporters de Trump ne pas digèrent toujours pas le message de concession et s’empressent de dénoncer une grossière manipulation menée pour déstabiliser l’Amérique. Analyses d’images, ralentis, comparaisons, on parle de doutes, de montages grossiers, d’étranges artefacts 2 Fact check: Donald Trump concession video not a ‘confirmed deepfake’ 8 janvier 2021 pour prouver la conspiration. Le réseau Parler 3Parler est un réseau social américain de microbloging lancé en août 2018. Il est initialement financé par le milliardaire américain Robert Mercer et sa fille Rebekah et abrite la droite extrême américaine. comme certains comptes twitter de membre de Qanon relayent les allégations de manipulation, participant ainsi, à la montée de colère qui débouche quelques jours plus tard à l’invasion du Capitole à Washington.

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On voit petit à petit comment les deepfakes s’insinuent dans le récit collectif et changent la façon de lire certaines images ou documents vidéos, creusant plus profond un sillon déjà largement entamé par l’arrivée de Photoshop en 1990.

Ici en particulier, derrière l’argument un peu facile qui valide les complots les plus fous, c’est tout un imaginaire qui se structure autour des médias synthétiques en mobilisant les codes de la science-fiction dystopique. Le champ lexical qui les entoure alimente les fantasmes. Pour les extrémistes du Trumpisme, le « deep » de deepfake rappelle immédiatement le deep state, cette notion populaire dans les milieux conspi d’un gouvernement secret manipulant le monde pour d’obscures raisons. Les deepfakes masquent, camouflent, enfouissent sous des couches de manipulation algorithmiques de supposées vérités insaisissables. D’ailleurs les algorithmes, les faceswaps 4 le fait d’échanger les visages de personnages présents dans une vidéo à l’aide d’une manipulation algorithmique. C’est la base des deepfakes les plus populaires. Par exemple, le remplacement du visage de Jack Nickolson dans The Shinning par celui de Jim Carrey. ou les médias synthétiques, portent pour les non-spécialistes, l’idée d’une sophistication technologique si extrême qu’elle échappe à la compréhension commune. Ce vocabulaire technique laisse imaginer des procédés développés dans des laboratoires secrets, des sortes de Photoshop boosté aux amphétamines au service de docteurs Frankestein de la communication. Et s’il est vrai qu’il y a une certaine complexité dans le fonctionnement des GANs à l’origine des deepfakes, il suffit de se pencher sur la littérature et les vidéos de vulgarisation en ligne pour mieux comprendre les méthodes de fabrication des médias synthétiques. Rien de sorcier.

Tentative d'analyse de la vidéo de concession de Donald Trump

Un partisan de Trump tente de fournir une explication à ce qu’il perçoit comme la preuve d’une manipulation.

Mais dans le doute et pour dénicher la faille, il s’agit de scruter, d’observer, de disséquer la moindre centimètre de vidéo, le moindre pixel manquant, le plus petit artefact de compression visible à l’œil nu. Chacun peut observer et tirer ses conclusions sur la base de ses biais cognitifs et de croyances personnelles, mais le résultat ne rivalise pas avec ce que peuvent produire les outils de détection adaptés.

La « menace » des deepfakes précède donc les deepfakes eux-mêmes dans un récit largement exagéré teinté d’angoisses technophobes et de complotisme sulfureux tandis que dans le même temps, artistes et créateurs audiovisuels s’emparent de ces outils pour créer les vidéos qui viralisent encore davantage le phénomène à travers YouTube et d’autres réseaux sociaux. Il n’y a pas d’infocalypse imminente. Les deepfakes ne vont pas non plus réduire nos démocraties en cendres. Il faut en revanche rester attentif et questionner la subtile, mais certaine diffusion des médias synthétiques sur le web, à la télévision et au cinéma. Petit à petit, à l’instar des effets spéciaux numériques que Jurassic Parc a popularisé, les médias de synthèse vont progressivement modifier notre perception du réel et questionner nos sens. Nous ne sommes qu’au début d’une modification profonde de la culture visuelle occidentale et nous aurions tort de surestimer les deepfakes comme d’en négliger les effets.

Notes :

Notes :
1 Full video dessous—Message from President Trump, 4,299,925 views • Jan 7, 2021
2 Fact check: Donald Trump concession video not a ‘confirmed deepfake’ 8 janvier 2021
3Parler est un réseau social américain de microbloging lancé en août 2018. Il est initialement financé par le milliardaire américain Robert Mercer et sa fille Rebekah et abrite la droite extrême américaine.
4 le fait d’échanger les visages de personnages présents dans une vidéo à l’aide d’une manipulation algorithmique. C’est la base des deepfakes les plus populaires. Par exemple, le remplacement du visage de Jack Nickolson dans The Shinning par celui de Jim Carrey.
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.