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Soya no Sohi et son double masculin Yasuo Nakajima

Soya no Sohi, une jolie Japonaise fan de moto semble être un fantasme au pays du soleil levant. Beaucoup ont été trompés par l’imposture d’un quinquagénaire en quête de succès sur twitter. Retour (bref) sur cette petite révélation qui en dit un peu plus sur notre perception des médias synthétiques.

🚨 ARTICLE MIS À JOUR LE 18 MAI 2021

L’histoire semble un peu grosse pour être vraie, pourtant les Japonais ont découvert la supercherie à la télévision où une équipe de Getsuyou Kara Yofukashi (Sitting Up Late From Monday) a traqué le propriétaire du compte de la jeune Soya no Sohi 1Face editing: Japanese biker tricks internet into thinking he is a young woman,BBC, 20 mars 2021 .

Le motard d’une cinquantaine d’années, répondant au nom de Yasuo Nakajima 2A ‘beautiful’ female biker was actually a 50-year-old man using FaceApp. After he confessed, his followers liked him even more, Washington Post, 11 mai 2021, avoue sans peine avoir utilisé l’application Faceapp et d’autres outils d’édition (surement Photoshop) pour modifier son apparence. Son objectif : gagner davantage de followers sur twitter. Le résultat a dépassé ses espérances puisque le compte grimpe désormais à plus de 20 000 followers.

le deepfake @azusagakuyuki montre quelques problèmes d'alignement avec le visage de Zonggu

Le deepfake @azusagakuyuki montre quelques problèmes d’alignement avec le visage de Zonggu au niveau des dents. D’autres photo présentent des artefacts autour du cou, des cheveaux et une inconsistance entre différentes parties du corps (bras d’homme poilus et visage de jeune femme)

D’après la BBC, les réactions de ses followers ont été plutôt positives et beaucoup ont salué le côté mignon de la démarche. Certains ont même commencé à suivre le compte après la révélation, faisant monter le compte d’AzusagaKuyuki de 19k à 25,1k followers. L’homme continue de tweeter, capitalisant ainsi sur son quart d’heure de célébrité.

Un “catfish” qui soulève quelques questions

Le catfishing consiste à adopter une fausse identité en ligne afin de manipuler une victime ou de tirer un gain particulier 3Catfish : la pêche au faux“, RTBF, 2015. Cette pratique, définitivement passée du coté obscur de la force, n’est en réalité qu’un versant de la réalité de centaines de milliers d’internautes qui se réfugient derrière une identité de remplacement, un « moi » synthétique aux propriétés parfois diamétralement opposées aux leurs. On perçoit immédiatement les dangers de la pratique. N’importe quelle personnalité instable peut se faire passer pour ce qu’il n’est pas et exploiter les faiblesses de victimes crédules 4Si vous ne l’avez pas déjà vu, visionnez l’extraordinnaire mockcumentaire Catfish et le documentaire Don’t F**k With Cats: Hunting an Internet Killer à la thématique un peu plus distante mais j’avais envie de vous le recommander. Ici, la réception du public a été étonnamment bienveillante, la culture japonaise – plus permissive que la notre sur certains de ces sujets 5Le business des culottes usagées s’exporte en France“, RTBF, 2016 – contribuant certainement à la normalisation de ce type de comportement.

Contrairement à certains, je ne rapprocherai pas cette histoire de celle de Raffaela Spone 6 « Faits divers et deepfakes » mars 2021 dont l’usage avéré de deepfakes reste à établir. Le cas Yasuo Nakajima permet néanmoins deux remarques.

L’accessibilité des outils de manipulation et de création de médias synthétique permet à certains utilisateurs de suffisamment se familiariser avec la technique et ses concepts pour en déceler une fonction utilitaire. Dans ce cas, masquer une identité jugée handicapante et la remplacer par une autre plus encapacitante. Le niveau de maturité du public a clairement augmenté vis-à-vis de ces nouvelles plateformes de création, le divertissement laisse la place à l’utilitarisme.

C’est une première marche franchie pour un certain nombre d’internautes qui n’hésiteront pas à aller plus loin si le besoin s’en fait sentir (besoin de réalisme, confort d’utilisation d’une interface, etc.). La compréhension de ces nouveaux outils augmente donc le niveau de compétence, puis le niveau d’exigence et crée donc une demande pour des outils plus performants, plus abordables, plus largement diffusés.

La liste de ce type de faits divers risque fort de s’allonger dans les prochains mois à mesure que les relais d’opinion traditionnels s’en emparent. L’apparente innocuité de ces outils, principalement destinés à des usages récréatifs, va progressivement acculturer le grand public avec les médias synthétiques sans que ne soient forcément rappelées les règles élémentaires de prudence. C’est sur ce point qu’il faut rester vigilant et tenter d’apporter des réponses. 

Notes :

Notes :
1Face editing: Japanese biker tricks internet into thinking he is a young woman,BBC, 20 mars 2021
2A ‘beautiful’ female biker was actually a 50-year-old man using FaceApp. After he confessed, his followers liked him even more, Washington Post, 11 mai 2021
3Catfish : la pêche au faux“, RTBF, 2015
4Si vous ne l’avez pas déjà vu, visionnez l’extraordinnaire mockcumentaire Catfish et le documentaire Don’t F**k With Cats: Hunting an Internet Killer à la thématique un peu plus distante mais j’avais envie de vous le recommander
5Le business des culottes usagées s’exporte en France“, RTBF, 2016
6 « Faits divers et deepfakes » mars 2021
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.