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Que veut dire “Digital” dans “Journalisme Digital” ?

Le digital est partout. On en parle aux infos, on le voit inscrit en toutes lettres sur les appareils qui nous entourent, c’est même devenu un mode de vie. On pourrait crier au scandale linguistique en entendant sans cesse ce mot « digital » tomber dans la bouche de tous les startupers. Pourtant, il revêt une dimension polysémique indéniable. Voyons cela ensemble.

Le digitum, c’est le doigt. Le doigt version latine. Comment est-on passé du digitum au « digital » sans (vraiment) passer par le numérique ? Anglicisme primaire ? Peut-être bien puisqu’on peut remonter les traces de ce néologisme aux années 70 au moment de l’apparition du « digital display », le fameux affichage qui donne son cachet visuel à l’intérieur de la DeLorean de Marty McFly dans Retour vers le Futur. Le digital fait high-tech, il sonne bien, il place direct celui qui l’utilise dans le camp du progrès, de l’innovation.

Le lien le plus direct qu’on peut tracer entre le digitum et la notion d’ordinateur, c’est le boulier (avant on comptait sur les doigts). L’instrument qui remonte aux Grecs de l’antiquité et à tous ceux qui vivaient à cette époque, s’utilise naturellement avec le doigt. On pousse d’un côté ou de l’autre les billes de bois placées sur des tringles parallèles pour effectuer les calculs nécessaires. Le digitum, à travers le boulier, devient l’outil de calcul, celui par qui procède l’opération de mathématique. Les deux font partie du même système et interagissent pour exprimer un résultat.

Rapprocher chiffres et doigts dans un même concept, c’est ce que fait notre digital moderne en introduisant une métaphore supplémentaire. Le doigt est devenu, grâce à Steve Jobs entre autres, le premier outil d’interfaçage entre l’homme et la machine informatique, entre l’homme et l’écran, l’homme et l’information.

La souris et le joypad se sont effacés, ne reste plus que le doigt pour glisser sur la surface minérale de nos smartphones et sélectionner, supprimer, faire défiler, valider ou activer les fonctions de nos applications. Et parce que les appareils tactiles sont en grande majorité des appareils de mobilité qu’on utilise de façon extrêmement personnelle, le terme digital prend aujourd’hui une dimension plus large.

Le doigt comme métaphore du soi, du personnel, du sur-mesure (aboutissement parfait de la parfaite interaction homme/machine sans intermédiation). Le digital comme métaphore renouvelée du numérique, nomade et itinérant. Le journalisme digital porte au centre de sa culture la notion de sur-mesure, de pratique centrée sur l’humain, pas seulement dans ses questionnements ou son champ d’investigation — celui propre au journalisme — mais bien dans celui que l’utilisateur final est au cœur des préoccupations.

Le journalisme digital n’est donc pas un anglicisme de plus destiné à faire « néo », mais bien le fruit d’une réflexion qui tire dans l’étymologie millénaire du mot, la raison même de son existence et la nature résolument nouvelle de la mission qui est la sienne : mettre le public au centre de la conversation et des préoccupations.

Ce n’est pas un type de journalisme qui trouve son terrain d’action seulement sur Internet, ou qui tire parti de l’environnement numérique dans lequel il s’inscrit, mais bien un journalisme de culture nouvelle, plus technique, voire technologique, en prise avec la donnée qu’il sait exploiter, conscient des usages et de leurs limites et qui repose sur la mobilité en exploitant les terminaux portables pour délivrer l’information au plus près des lecteurs.

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.