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Le deepfake de Nixon annonce la mort de Neil Amstrong

Que se serait-il passé si Neil Amstrong et Buzz Aldrin n’avaient pas pu décoller de la mer de la tranquillité ce 20 juillet 1969 à 20 h 17 min 40 s ? “In event of a moon disaster” 1In event of Moon disaster – moondisaster.org, 2020 revient sur ce moment clef de la conquête spatiale, en empruntant le chemin de l’uchronie, pour mettre en scène un Richard Nixon synthétique plus vrai que nature. 

C’est avec la mine grave des jours mauvais que Richard Nixon annonce d’une voix déprimée la mort des astronautes d’Apollo 11 sur la lune. Les mots choisis avec soin rendent hommage à l’héroïsme de Buzz Aldrin et de Neil Amstrong, les deux pilotes du L.M qui ont atterri, mais n’ont pu redécoller 2Collins est resté seul à bord de Columbia, en orbite autour de la lune.

Rien de tout ça n’est évidemment arrivé. La scène que je viens de vous décrire correspond à un travail réalisé par le M.I.T et les chercheurs du MIT Center for Advanced Virtuality et présenté en novembre dernier à l’IDFA 3 International Documentary Film Festival Amsterdam d’Amsterdam par la réalisatrice Francesca Panetta et son coréalisateur Halsey Burgund. Il aura fallu réaliser un enregistrement de trois heures de Lewis D. Wheeler, l’acteur engagé pour servir de base à la manipulation, pour donner aux algorithmes suffisamment de données pour recréer le discours jamais prononcé et un deepfake de Nixon plus vrai que nature.

C’est à Canny AI 4Canny AI est une entreprise israélienne spécialisée dans les médias synthétiques. Omar Ben-ami le cofondateur de l’agence, évite soigneusement de parler de deepfakes et préfère appeler la technique employée Video Dialogue Replacement (VDR). En 2019, Canny AI s’est illustré en faisant chanter à Vladimir Poutine et d’autres célébrité le célèbre tube de John Lennon Imagine cannyai.com qu’a été confié la création du média synthétique. Il s’agit bien d’une utilisation d’algorithmes d’apprentissage profond, mais le mécanisme diffère de celui utilisé pour les deepfakes. L’image de Richard Nixon, tirée de son discours de démission, vient se superposer sur le visage de Wheeler en collant aux points clefs que sont les yeux et la bouche et le réseau de neurones apprend à reproduire parfaitement les expressions du visage de l’un pour les transposer sur l’autre.

L'installation de "In event of a moon disaster" à l'IDFA d'Amsterdam en 2019

L’installation « In event of a moon disaster » à l’IDFA d’Amsterdam en 2019, reprend les codes des intérieurs américains de la fin des années 60. On peut y visionner le deepfake de Nixon.

Le film de 7 min visible ci-dessus renforce l’illusion en plongeant le spectateur dans le contexte de l’époque en utilisant des images d’archives de la télévision américaine et de la NASA. L’installation visible à Amsterdam en 2019, récréait pour sa part le salon typique des foyers américains de la fin des années 60, souvent visible dans les films de conquête spatiale.

Ce contexte joue un rôle essentiel dans l’immersion et brouille encore un peu plus les repères que pourrait avoir un spectateur. Le deepfake de Nixon, extrêmement réaliste, associée à des images d’archives largement diffusées depuis des dizaines d’années permet de faire coexister dans un même univers la fiction et le réel sans que l’un ne soit plus discernable de l’autre.

Dénoncer les manipulations, les infox et les risques associés, voilà la mission du projet Moon Disaster à l’instar du documentaire de William Karel Dark Side of the Moon 5Dark Side of the Moon, William Karel, 2002Ce mockumentaire — un film utilisant les codes du documentaire pour raconter une fiction — mets en scène, entre autres, Donald Rumsfeld ancien conseiller de Nixon, sert de blague et dénonce le complotisme américain. Fait étonnant, ce documentaire est devenu la preuve irréfutable que les complotistes brandissent quand il s’agit de prouver que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la lune connu pour dénoncer les théories du complot. La production d’un deepfake permet de créer un doute raisonnable qui défie la capacité de vérification des spectateurs non initiés. Extrait de son contexte militant, la séquence pendant laquelle Nixon annonce la mort des astronautes pourrait parfaitement passer pour une séquence filmée à l’époque et jamais diffusée. Elle crée, de par son existence, une confusion entre réalité et fiction à laquelle de plus en plus de gens seront confrontés à l’avenir à mesure que les techniques se répandront dans l’espace public.

Notes :

Notes :
1In event of Moon disaster – moondisaster.org, 2020
2Collins est resté seul à bord de Columbia, en orbite autour de la lune
3 International Documentary Film Festival Amsterdam
4Canny AI est une entreprise israélienne spécialisée dans les médias synthétiques. Omar Ben-ami le cofondateur de l’agence, évite soigneusement de parler de deepfakes et préfère appeler la technique employée Video Dialogue Replacement (VDR). En 2019, Canny AI s’est illustré en faisant chanter à Vladimir Poutine et d’autres célébrité le célèbre tube de John Lennon Imagine cannyai.com
5Dark Side of the Moon, William Karel, 2002Ce mockumentaire — un film utilisant les codes du documentaire pour raconter une fiction — mets en scène, entre autres, Donald Rumsfeld ancien conseiller de Nixon, sert de blague et dénonce le complotisme américain. Fait étonnant, ce documentaire est devenu la preuve irréfutable que les complotistes brandissent quand il s’agit de prouver que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la lune
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.