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Deepfakes, la vérité est ailleurs

Depuis quelques mois, ils commencent à occuper les esprits. Les deepfakes (ces vidéos trompeuses, souvent infamantes, fabriquées à l’aide d’une « intelligence artificielle ») posent la question de notre rapport à la vérité.
Leur apparition a semé le doute dans les esprits et confirmé que les effets spéciaux n’étaient plus désormais cantonnés aux studios d’Hollywood. La nature souvent légère de ces contenus déroutants a permis de faire monter tout doucement le feu sous la casserole en habituant graduellement le public aux images trafiquées. Comme la grenouille dans l’eau frémissante, on ne voit pas venir la catastrophe.
Du côté du grand public, on rit de ces « memes » sans désormais complètement s’émouvoir du danger profond que ces hypertrucages constituent. On en a vu d’autres, rien de neuf ! Côté journaliste, on perçoit bien le problème 1Les rédactions face à l’intoxication des intelligences artificielles“, 2019. Certains s’inquiètent du phénomène, le dénonce, mais le nombre encore anecdotique de vidéos truquées et la complexité technique qui entoure leur conception rebute les professionnels de l’info pour qui l’essentiel de l’effort doit se porter sur les infox, les fameuses « fake news » chère à Trump notamment.
Pourtant les deepfakes démontrent qu’en termes d’image et de son, l’information vérifiée cohabite — pour le pire — avec les infos plus alternatives, souvent privilégiées pour leur biais émotionnel plus attractif. Ces narrations partisanes de l’info plaisent de plus en plus aux publics de plus en plus polarisés. Elles s’ancrent définitivement dans le paysage médiatique à l’aide des caisses de résonance des réseaux sociaux qui accroissent la vitalité des hypertrucages. Le vrai, le « un peu vrai », le « pas vrai, mais qui pourrait être vrai », le « vrai incroyable », le « faux qui ressemble au vrai », le « faux vraisemblable, mais dont on sait qu’il est faux » participent au flou général qui entoure l’info et contribue à la défiance générale envers les médias.
Le phénomène des deepfakes révèle l’extrême déconnexion des médias avec le grand public. Déjà les fake news de 1re génération inondent les messageries (Whatsapp, Messengers) en Amérique latine et aux US et bouleversent le débat démocratique. Comment les rédactions parviendront-elles à se battre contre ces Formule 1 de la propagande et de l’intox alors qu’elles ont perdu leur rôle structurant d’intermédiation ? Probablement que la réponse tient dans la nature du lien que les journalistes sauront créer avec le public dans les mois à venir et aux réponses technologiques qui pourront être développées.
Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.