Avril 1961. La dernière chose qu’entendit Yuri Gagarin avant de rejoindre l’espace fut le bruit des réacteurs qui crachaient leur feu sur la terre de Baïkonur. La fusée qui le propulsa à bord de son Vostok 1 pour la première fois dans l’espace transforma le destin de l’humanité et le parcours d’un homme.
Gagarin, fils de famille de fermiers, était destiné à la charpenterie. Pourtant, attiré par l’aviation, il se dressa contre ses parents pour intégrer une école de fonderie, puis un institut techno-industriel avant de rejoindre l’école soviétique de pilotage et enfin le programme spatial soviétique.
Le docteur en charge du recrutement des cosmonautes nota à l’époque « que le jeune Gagarin étaient une recrue de valeur, au vu de sa connaissance des mathématiques et surtout de la mécanique« . Pour voler, le jeune Gagarin se devait de connaitre les fondamentaux de mécanique et mathématique qui gouvernaient sa fusée…
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On ne devient pas ingénieur sans connaitre les rudiments de calcul des intégrales. On ne devient pas non plus médecin sans apprendre à détecter une pathologie. Le boulanger a mémorisé la recette du pain, le boucher connait ses morceaux, la psychologue connait la littérature de Freud et Lacan, l’architecte les plans de le Corbusier ou Gehry, le designer le travail de Behrens ou les courants tels que le Bauhaus ou l’Art Nouveau. Voilà qui est posé.
Le journalisme, activité noble mais fortement malmenée sur le plan éthique comme économique, cherche depuis quelques temps à se réinventer. Entre autres pistes, nous explorons de « nouvelles » formes de narration comme le multimédia ou le diaporama au motif que le public serait avide de ces « petites oeuvres ». Elles seraient « idéales » pour le journalisme hyper-local, porteuses d’avenir et pourquoi pas, source de nouveaux revenus.
C’est là que les choses se corsent.
Tout d’abord mettons les choses au point. Il n’y a rien de nouveau à réaliser des objets « multimédias » ou des diaporamas sonores. Les uns comme les autres existent depuis que l’image animée est apparu avec les expérimentations d’Eadweard Muybridge puis avec le cinéma des Frères Lumière et les accompagnements au piano des films de Méliès.
D’autre part qualifier un objet « multimédia » et le distinguer du diaporama sonore relève de l’excès de nomenclature (rappelons que photo + son = deux médias = multimédia). Enfin, et je rejoins en ça Eric Maierson du studio Mediastorm à Brooklyn NY, le terme multimédia parait trop étroit dès lors qu’on travaille sur le net où la convergence des médias par essence casse les frontières entre les genres.
En somme, dire que l’on fait du diaporama sonore ou du multimédia revêt donc autant de sens qu’affirmer que l’on fait de la radio, de la télé ou de la presse. C’est un peu comme annoncer sur le menu d’un restaurant qu’il y a des casseroles en entrée, des poêles en plat de résistance et des ramequins au dessert. On parle du contenant sans parler du contenu.
Or, nous ne faisons pas du multimédia, de la TV, de la presse écrite ou de la radio… Nous faisons du journalisme, et pour certains, nous racontons des histoires.
La distinction, c’est bien là que réside l’enjeu.
Si le contenant (l’objet multimédia) est au coeur des préoccupations, alors s’ensuivent les discussions suivantes: Quelle sont les caractéristiques techniques idéales de l’objet ? Quelle doit-être sa longueur? 3’30 ou 4’20 ? 10 minutes ? Nahh… Trop long… Le « public » ne regarde pas du long. Quel type d’encodage? Si c’est H264 ok sinon H265? Doit-il être interactif ou pas? Enrichi ou pas? Soundslides ou pas Soundslides? Combien de VUES, de CPM? Blah blah blah…
Voyez où je veux en venir. Si la création de ces objets multimédia passe évidement par une phase technique complexe dont il s’agit de bien comprendre les étapes et les process, il ne s’agit pas que de plomberie ou de mécanique. Il s’agit de raconter une histoire. Une histoire dont le but est d’informer ou d’éclairer le public sur une problématique donnée. Il s’agit de créer un récit multimédia.
Et qu’est-ce-que raconter une histoire, créer un récit? C’est se rapprocher de l’autre, communiquer. L’emporter avec soit dans un univers, le transporter dans un monde différent, lui faire découvrir de nouvelles perspectives. C’est faire appel à ses sens, ses émotions, son empathie.
Fermez les yeux quelques secondes… Quelle est la première histoire qui vous vient à l’esprit? Nous en avons tous une, et chacune d’entre elles sont très différentes. Leur point commun? Elles sont toutes mémorables, parce qu’elles obéissent sans exception à des règles communes portées à travers les âges par les conteurs, les écrivains, et maintenant, les journalistes.
L’homme n’a rien inventé de mieux pour transmettre la connaissance au fil des millénaires que les histoires et il serait vain de tenter de nous en affranchir.
Il est d’ailleurs assez paradoxal que dans un pays de tradition littéraire aussi poussée, dans un pays qui a connu Albert Londres et inventé le cinéma, l’héritage narratif soit aujourd’hui si peu développé, notamment chez les journalistes et les photojournalistes qui embrassent le genre « multimédia ».
Ne croyez pas qu’il suffit de coller quelques images sur un vague témoignage monté pour raconter une histoire. Vous devez faire des choix, conduire votre public d’un point A à un point B, lui donner les clefs de compréhension au fil de la narration, la rythmer et lui donner une conclusion.
Oui, tout ceci demande du travail. Plus de travail que vous n’imaginez. Apprendre ces règles, cette grammaire, les techniques narratives qui régissent une bonne histoire, requiert du temps passé à lire la littérature de référence et de l’expérience. Il n’existe pas de raccourcis.
Les plus curieux auront déjà trouvé les briques essentielles en décortiquant les productions de Mediastorm, du Bombay Flying Club, DuckRabbit, Magnum in Motion, du L.A Times, de Richard Koci Hernandez et de Story4, ou d’Ira Glass sur NPR comme les créations de l’ONF.
N’esquivez surtout pas la lecture de La Poétique d’Aristote, du Héros aux milles et un visages de Joseph Campbell, ou encore de L’écriture du documentaire par Jacqueline Sigaar pour construire votre technique narrative. Sur ces bases solides, vous pourrez ensuite développer votre expérience, continuer d’apprendre, lire et vous perfectionner.
Mais de grâce, de grâce, ne prétendez pas raconter une histoire sans avoir fait ce travail. Vous ne feriez que desservir votre intention, votre message et enfin, le public.