Retour

Les Fakes News, les GAFAs et nous

2017 a été marquée par une invraisemblable accumulation de révélations sur l’impact des réseaux sociaux dans la propagation des fausses informations. États-Unis, France, Angleterre, Allemagne, de plus en plus de pays semblent être touchés. Une situation qui profite à quelques trolls des réseaux sociaux, mais qui semble également bénéficier aux deux majeures plateformes que sont Facebook et Twitter.

Les faits alternatifs de Kelly Ann Conway

Quelques jours après l’inauguration de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le 2 février 2017, une des conseillères de Donald Trump, KellyAnn Conway, répond aux questions de Chris Matthews, présentateur vedette du show Hardball de la chaine MSNBC. Conway évolue dans l’entourage de Donald Trump depuis le début de la campagne présidentielle et gère sa communication depuis août 2016. Elle correspond à l’archétype même que recherchent les chaines d’info continue américaines. Langue de bois et mauvaise foi comme arme de poing, elle devient très vite la coqueluche des plateaux télé et de la presse écrite. Ce jour-là donc, sur le plateau de Hardball, il s’agit de défendre l’executive order portant sur l’Immigration Ban du tout nouveau président fraichement élu à la Maison-Blanche. Et voilà ce qui arrive :

Comme le souligne Alex Wagner, dans le journal matinal CBS This Morning et Stephen Colbert du Late Show, le massacre de Bowling Green n’a, en réalité, jamais eu lieu. Bowling Green est une petite ville perdue au milieu du Kentucky, située à l’est des États-Unis, et n’a connu comme seul événement notable ces dernières années, que l’arrestation en 2011 de 2 citoyens irakiens pour détention d’armes et tentative de financement d’organisation terroriste. Aucune trace de massacre ou de tueur fou dans les archives du Bowling Green Daily News, le journal de la ville. Dans les jours qui suivent, Conway invoque évidemment l’erreur d’interprétation et tente de noyer le poisson. Mais le mal est déjà fait, et dans les quelques heures qui suivent, les réseaux sociaux, qui ont relayé la petite phrase, sont en feu. Certains même reprennent avec humour, le dispositif Safety Check de Facebook en déclarant avoir échappé au faux massacre.
Une « petite » erreur pourtant pas si innocente puisqu’à la suite de cette déclaration, la moitié des électeurs de Donald Trump déclarent croire les propos de Conway.
Cette anecdote de la campagne américaine n’est pas isolée, elle démontre même une certaine habileté à manipuler la réalité. Le Bowling Green Massacre ne vient pas de nulle part, quelques jours avant, la même Kellyann Conway, déclare ceci :
En quelques mots, et en dépit de la stupéfaction de Chuck Todd, le présentateur de Meet the Press sur MSNBC, Kellyann Conway fait soudainement passer de fausses infos — ou de vrais mensonges — pour des arguments acceptables dans le débat public. Il ne s’agit plus de fausses informations, mais d’un point de vue différent sur la réalité, une réalité alternative. Les « Fake News » accèdent à un nouveau statut, légitimées par la parole d’une représentante de l’administration Trump. Comme la campagne américaine de 2016 l’avait laissé présagé, la vague des « informations toxiques » s’élance fin 2016 sur l’occident.
Entretenu par Donald Trump et sa frénésie de tweet incendiaire la guerre des déclarations approximatives s’enclenche. Les coups s’enchainent : Donald Trump contre les médias, contre Buzz feed et surtout contre CNN. Saisi au milieu de ce combat, le peuple américain compte les points quand il ne relaie pas les fausses déclarations et les allégations outrageuses du Président Trump.
D’un côté les « Fake News » pour CNN et les organes de presse « mainstream ». De l’autre côté les « Alternative facts » ou faits alternatifs pour les tenants du pouvoir. La bataille pour l’information commence. Une bataille au cœur de laquelle, les réseaux sociaux jouent désormais un rôle prépondérant en relayant, en quelques minutes, les pires déclarations, les pires fausses informations, totalement virales et fabriquées pour se diffuser comme la peste.
Dans le cas du Bowling Green massacre, les réseaux sociaux sont intervenus après les déclarations de Conway, mais avant cela, un autre fait divers avait secoué la campagne américaine. Un fait divers fabriqué sur le web par des experts de la désinformation.

Le Pizza Gate

L’histoire du Pizza Gate est peut-être une des « Fakes News » les plus marquantes de la très dense campagne américaine. En France, nous y avons largement échappé, mais aux États-Unis, cette histoire a bouleversé les programmes des chaines d’info continue un après-midi de décembre, bloqué tout un quartier de Washington D. C et tenu en haleine les Américains pendant les jours suivants.
Tout commence en mars 2016. Le compte mail personnel de John Podesta, alors manager de campagne d’Hilary Clinton, est l’objet d’une cyberattaque dont la responsabilité sera plus tard attribuée au groupe Fancy Bear, un groupe de hacker proche des services secrets russes. Podesta est un proche de la famille Clinton. Il a servi comme Chief of Staff sous Bill Clinton et dirige la campagne d’Hillary. Sa position stratégique en fait une cible de choix pour les républicains bien sûr, mais aussi pour tous les détracteurs d’Hillary Clinton. En mars donc, ses mails privés sont piratés, puis quelques mois plus tard en octobre 2016, les 20 000 pages regroupant les mails sont publiées par Wikileaks. L’affaire fait bien entendu le tour des médias et enflamme les réseaux sociaux. Si une majorité de ces mails contiennent un certain nombre d’informations sensibles liées, directement ou indirectement à la campagne, certains lecteurs de Wikileaks croient y trouver des références ou des « codes cachés » indiquant l’existence d’un trafic d’humain ainsi que celle d’un réseau pédophile, directement lié au parti démocrate. Le soi-disant réseau s’appuierait sur une chaine de restaurants pour abriter ses activités, dont une pizzeria en particulier que fréquente régulièrement John Podesta : le « Comet Ping Pong ».
L’après-midi du 4 décembre 2016, Edgar Maddison Welch, un résident de Salisbury en Caroline du Nord, veut en avoir le cœur net. Il prend sa voiture, direction le 5037 Connecticut Ave à Washington. Persuadé de la véracité des informations qu’il a glanées sur internet qui — toutes — confirment la présence d’enfants captifs dans le sous-sol du « Comet Ping Pong », Welsh s’en va délivrer les prisonniers de la pizzeria. Seul problème, au 5037 Connecticut Avenue, il n’y a ni sous-sol, ni enfant prisonniers dans la pizzeria. Les informations que Welsh a consultées sur le web proviennent en réalité de sites conspirationnistes diffusant de fausses informations sur Twitter et Facebook. Après avoir menacé les clients du restaurant et le gérant, Welsh est appréhendé par la police locale. Incrédule, il réalise son erreur, mais trop tard.
Quelques jours après l’arrestation d’Edgar Welsh, le New York Times publie un excellent article de Gregor Aisch, John Huang et Cecilia Kang détaillant la manière dont les fausses informations se sont propagées sur les réseaux.
L’article souligne notamment que l’évolution rapide de la fausse théorie a révélé l’impact des réseaux sociaux quand ils sont combinés aux fausses informations et comment cette combinaison a amené Welsh à se rendre sur place armée et a menacé d’innocentes personnes. Pour vous donner une idée du niveau d’abstraction de certaines des prétendues preuves censées accréditer l’existence du réseau pédophile, voilà en substance ce que contient un post publié sur le réseau social « 4chan ». En substance, un utilisateur postant anonymement depuis le Canada demande à la communauté de vérifier dans les leaks, les mots à double entrée. Puis il dresse une liste de ces mots : « Hotdog » serait le nom de code pour garçon, « pizza » pour une fille, « cheese » pour une petite fille, « pasta » pour un petit garçon et « sauce » pour une orgie. Du pur délire évidemment.

L’écosystème des fake news

Cette anecdote illustre parfaitement l’impact que les réseaux sociaux peuvent avoir lorsqu’ils véhiculent de fausses informations. Il ne s’agit pas de dire ici que Facebook, Twitter ou Google sont néfastes par nature, mais bien de souligner le potentiel danger de ces plateformes lorsqu’elles sont manipulées par des professionnels de la désinformation.
Pourtant depuis maintenant plus d’un an, il ne se passe pas une semaine sans qu’une info faussée, déformée, partiellement tronquée ou clairement manipulée ne soit exhumée et panique la twittosphère ou les différents newsfeeds de Facebook. Aux États-Unis certains sites s’en sont fait d’ailleurs une spécialité. Ils opèrent depuis des années et brassent des millions de dollars en exploitant la crédulité de leurs lecteurs.
La voix colérique que vous entendez est celle d’Alex Jones, le créateur de la chaine conspirationniste d’extrême droite « Infowars ». Jones alimente depuis plus d’une dizaine d’années les pires théories conspirationnistes. Par exemple, le « Peuple Lézard » contrôle les États-Unis et dispose de relais partout dans l’administration y compris auprès du Président — une théorie suivie par près de 12 millions d’Américains tout de même. Ou encore, la tuerie de l’École de Sandy Hook n’est qu’une arnaque montée de toute pièce par le Gouvernement américain pour imposer une régulation drastique des armes à feu et mettre fin à la NRA. Ou enfin, une pizzeria de la banlieue de Washington D. C abrite un réseau pédophile… vous rappelez, le Pizza Gate dont je vous parlais plus tôt, eh bien effet, Jones est en partie à l’origine de cette histoire.
Le patron d’infowars est devenu à ce point incontournable qu’en mai dernier il réussit à faire accréditer pour une journée par la Maison-Blanche un de ses employés grâce aux connexions entre lui et le locataire des lieux.
Et quelques mois plus tard, il apparait dans l’émission de l’ex-présentatrice de Fox News — passée sur NBC News — Megyn Kelly.

La chaine YouTube d’Alex Jones totalise aujourd’hui près d’1,3 milliard de vues et plus de 2 millions d’abonnés et passe souvent pour une voix « alternative » aux mainstreams médias. Plus de 800 000 fans relaient ses vidéos sur Facebook et Jones cumule avec Infowars sur Twitter près d’un million de followers. Quand Jones éructe, ce sont des centaines de milliers d’internautes qui reçoivent sa vision toxique et paranoïaque.
C’est en fait tout un écosystème de désinformation qui s’est organisé en l’espace de quelques mois autour de la présidence Trump. De Stephen Bannon, patron de Breitbart News, un autre site lié à l’extrême droite américaine, David Bossie (qui s’est illustré d’abord dans une campagne menée contre Bill Clinton) en passant par Rush Limbaugh et tout une armée de trolls et de conspirateurs de la première heure sur les réseaux sociaux.

Face aux fake news, les Réseaux contre attaquent

Comme je viens de vous l’expliquer, le réseau sur lequel repose la production des infos toxiques est assez dense et bien implanté. Mais face à ce déferlement de fausses news, la réaction du public et des journaux ne se fait pas attendre. Dans les semaines qui suivent l’élection de Donald Trump, le New York Times voit ses abonnements décoller de plus de 300 000 abonnés.
D’autres titres voient également leur trafic augmenter, par exemple le Washington Post qui en réaction ouvre une soixantaine de postes éditoriaux supplémentaires début 2017 pour faire face à la demande. Côté « contre-mesures », les initiatives pour réduire les fakes news et leurs effets se multiplient.
En France, le Monde et sa branche de Fact Checking, les Décodeurs, lancent le Decodex en janvier 2017.  Sorte d’annuaire des bonnes et des mauvaises publications où chacunes d’entre elles sont pondérées en fonction de leur crédibilité, le Decodex provoque brièvement la polémique suite à quelques erreurs de pondérations.
Aux États Unis, l’activiste et journaliste, Eli Pariser auteur de « The Filter Bubble », également patron et fondateur d’Upworthy, crée un Google doc intitulé «  Media Redesign : The New Reality » pour tenter de designer une réponse collective contre les Infos Toxiques. Des centaines de contributions permettent en quelques semaines d’élaborer un document ultra riche et long de près de 140 pages où sont explorés les différents points sur lesquels il est possible d’agir pour se battre contre les « Fake News ».
Dans le même temps, Google et Facebook, conscients de leur implication dans la propagation de fausses infos lancent tous les deux début 2017 leur programme de fact checking. Des initiatives qui sont salutaires tant l’implication de ces géants du Net dans la propagation de fausses informations devient évidente. Reste que ces programmes permettent également aux 2 géants d’améliorer leur image de marque un poil écornée auprès du grand public et notamment de leurs utilisateurs.
« Crosscheck » est lancée en France en grande pompe dans l’amphithéâtre de Science Po à Paris le 6 février 2017. Mené par l’ONG américaine Firstdraft en partenariat avec Google News Lab, l’initiative rassemble près de 17 médias dont l’AFP, Buzzfeed News, France Médias Monde, France TV, le Monde et d’autres titres majeurs dont l’objectif consiste à fact checker les infos douteuses publiées sur des sites d’information ou sur les réseaux sociaux. Seconde itération d’un processus commencé avec l’opération « Electionland » destinée à documenter les problèmes liés au vote aux États-Unis en 2016, Crosscheck se conçoit comme un prologue à d’autres actions sur le territoire Européen, notamment à l’occasion des élections allemandes du mois d’octobre 2017.
La seconde initiative menée par Facebook, en partenariat avec Snopes, Factcheck.org, Politifact, ABC News et Associated Press tentent de remplir les promesses faites par Mark Zuckerberg dans son post du 13 novembre 2016 dans lequel il annonce des mesures pour combattre les Fakes News.
L’opération lancée le mois suivant trouve un prolongement en avril 2017 quand Facebook s’associe à différentes organisations pour financer un fonds baptisé « News Integrity Initiative » doté de 14 millions de dollars pour lutter contre la désinformation. Parmi les financeurs se trouvent donc la Fondation Ford, le fonds philanthropique de Craig Newmark, le fondateur du site de petites annonces Craiglist, ou Mozilla, le concepteur du navigateur Internet Firefox. D’après Jeff Jarvis, professeur de journalisme entrepreunarial à la NYU, qui pilote le programme, la News Integrity Initiative doit financer des recherches pour mieux comprendre les conversations qui ont lieu sur les réseaux sociaux, pourquoi les gens partagent, pourquoi ils ne croient parfois pas aux faits qui leur sont rapportés.

Facebook multiplie donc les actions en faveur des contenus dits « authentiques » et du journalisme. Entre sa participation à Crosscheck aux côtés de Google, la mise en place d’outils de fact-checking, le « Facebook Journalism Project » et les déclarations de Campbell Brown, une ancienne présentatrice vedette de CNN recrutée début 2017 pour gérer les partenariats avec les médias, qui déclare « vouloir soutenir le journalisme », la société de Menlo Park (en Californie) ne cesse de montrer pâte blanche. Mais est-ce réellement suffisant ?

Le fail du Fact Checking

Après quelques mois, les efforts du plus grand réseau social mondial pour contrer la propagation des infos toxiques sur sa plateforme ne semblent pas porter leurs fruits. Le Guardian rapporte dans un article du 13 novembre 2017 que certains journalistes qui travaillent en collaboration avec le géant américain considèrent que les outils de fact-checking mis à disposition ne sont pas assez puissants et que Facebook a principalement procédé à une opération de communication destinée à redorer son blason.
Un des journalistes chargés de fact-checker les infos sur la plateforme indique dans cet article que la société dirigée par Mark Zuckerberg refuse de rendre publiques les données rendant compte de ses efforts à mener la bataille contre la désinformation.
« Je n’ai pas l’impression que ça marche du tout — déclare-t-il — les fausses informations continuent d’être virales et se répandent rapidement ». Il semble même que l’outil mis en place par Facebook en décembre 2016 pour déclarer les fausses informations ait l’effet inverse de celui espéré. Toujours d’après le même journaliste, il apparaît que les infos ainsi labélisées, attirent en réalité, plus de trafic et deviennent plus faciles à trouver que les autres contenus.
Nombre d’exemples sont également reportés dans un papier du Guardian datant de mai 2017 et que je vous invite à lire pour comprendre l’étendue du problème.
Un des témoignages présents dans cet article est celui d’Aaron Sharockman, le directeur exécutif de PolitiFact, site lauréat du prix Pulitzer. Son site est un des partenaires de l’opération de fact checking de Facebook et il explique notamment qu’à partir du moment où ses reporters ont vérifié un article, celui-ci peut encore rester disponible plusieurs jours ou même plusieurs semaines sans que rien d’autre ne puisse être fait pour contrer les effets néfastes du post ainsi dénoncé. Un délai clairement en contradiction avec les objectifs du programme.

Une histoire d’argent, pas forcément claire

À ce moment-là, il est peut-être temps de se poser la question de la provenance des infos toxiques. Peut-être pensez-vous qu’il s’agit là de l’œuvre de quelques trolls américains, vivant entouré de cartons à pizza dans le sou bassement d’une maison parentale, perdu au milieu du mid-west américain. En réalité, une partie de l’action se déroule à des milliers de kilomètres de là, à une heure et demie d’avion de Paris.
Dans les rues de Veles en Macédoine, ce ne sont plus les travailleurs qui jadis se rendaient à la fabrique de porcelaine de la ville qu’on remarque. Non ! Les nouveaux travailleurs se pressent derrière un écran et durant l’élection américaine de 2016, ils ont été particulièrement actifs. Le reportage de CNN Money embarque le spectateur dans la ville où pas moins d’une centaine de faux sites web anti Clinton ont été réalisés. Le reportage rapporte notamment le témoignage d’un jeune de la ville dont le site web génère près de 2500 $ par jours. En regard du revenu moyen mensuel de 426 $ d’un Macédonien, c’est une petite fortune. Les profits viennent de la pub présente sur les sites, ou diffusée avant, pendant ou après les vidéos postées sur Facebook, Twitter ou YouTube. C’est tout un système qui s’est organisé au niveau local pour bénéficier de la manne publicitaire générée par les plateformes. Les fausses infos sont devenues l’enjeu d’un business important, elles alimentent de plus en plus de fermes à troll, de véritables usines à créer de fausses informations, et nombre sont ceux qui prévoient déjà de réitérer l’opération en 2020, à l’occasion des prochaines élections américaines.
Mais si l’argent arrive jusqu’en Macédoine, en Ukraine ou en Russie, avant, il passe également par la case Facebook, Twitter et Google. Sur ce point, les premières semaines de septembre 2017 ont été particulièrement agitées pour les trois géants du web dont les représentants ont été appelés à témoigner devant le Congrès américain dans le cadre de l’enquête sur l’influence Russe sur les élections américaines de 2016.
Du propre aveu de Facebook, ce sont près de 100 000 $ qui lui ont été payés en roubles pour pousser des « pubs » colportant des infos toxiques. À écouter Simon Milner, un des responsables anglais de Facebook UK interrogé par Darragh MacIntyre de la BBC, le revenu généré sur ces opérations reste mineur pour Facebook, mais sa réponse un brin mécanique n’inspire pas vraiment confiance.
Dans le même temps, Twitter admet avoir touché près de 300.000$ en revenus publicitaires liés à des infos toxiques. D’après les managers de Twitter, le média officiel russe, Russia Today aurait même dépensé 247.000$ en publicités ciblant le marché américain en 2016 pour diffuser de fausses informations.

Il est temps d’arrêter de parler de « Fake News ».

Vous m’avez entendu parler de Fake News tout le long de ce podcast. Méfiez-vous pourtant du terme qui recouvre différentes réalités. Certains parlent de fake news pour désigner de la même façon la simple parodie et le papier erroné, le post de désinformation, celui qui va chercher à manipuler l’opinion et parfois même ceux qui ne sont que pure fiction.
Évidemment la parodie n’a rien à voir avec de fausses informations, il s’agit de tourner l’info en dérision, à l’instar du Gorafi en France et de « The Onion » aux Etats-Unis et l’objectif reste purement humoristique. L’erreur n’est pas non plus une « Fake News ». Rapporter une information reste un travail difficile qui nécéssite de vérifier la provenance de l’info dans un temps extrêmement court, le tout avec un budget limité. Ce travail est réalisé par des femmes et des hommes qui parfois commettent des bourdes qu’ils réparent plus ou moins bien par la suite.
Non, les « Fakes News » sont des informations manipulées délibérément pour modifier la perception que les gens ont de la réalité factuelle. Les auteurs de ces informations tentent délibérément de tromper le public pour en tirer un profit personnel. Ils manipulent l’opinion pour l’orienter vers des sujets de préoccupations qui ne lui sont pas favorable ou pour discréditer un individu, une organisation, un gouvernement génant. Leurs effets n’est jamais positif en cela qu’elles n’apportent aucune une plus value à la société. Les Fakes News s’inscrivent dans une démarche négative, préjudiciable, qui altère le débat public, crée de la méfiance, de l’agressivité, antagonise les idées et les personnes. Personnellement je préfère considérer qu’il s’agit d’informations toxiques. Toxiques pour le débat public, pour la connaissance, pour la démocratie, pour nous tous.
Les mailles fragiles qui nous lient et font de nous les acteurs d’une même société souffrent de notre acceptation des infos toxiques et de notre propention à les relayer sans jamais les vérifier. Nous devons être, en conscience, vigilant à préserver un débat public saint et protéger l’information qui nous sert à prendre les bonnes décisions et à comprendre la société dans laquelle nous évoluons. À trop croire n’importe quoi, nous finirions par faire n’importe quoi.

GAFA & co, un design qui pousse au péché

Une dernière question reste cependant en suspend. Pourquoi partageons nous les infos toxiques ? Quel est le mécanisme à l’œuvre dans nos têtes lorsque nous décidons de cliquer sur le bouton « share » ? Il se trouve que notre libre arbitre en la matière est assez malmené et que nous sommes victime à la fois de notre propre physiologie et de l’action délibérée de Facebook ou Twitter, bref des réseaux sociaux. Là vous vous dites qu’Alex Jones et ses théories du complot ont fini par m’attaquer le cerveau, mais non. Laissez moi vous expliquer.
Vous avez certainement tous entendu parler du Chien de Pavlov. Pavlov était un scientifique Russe du milieu du 19eme siecle, dont le travail sur le réflexe conditionné a été récompensé en 1904 par un prix Nobel de Medecine. Sa théorie s’intéresse aux résultats d’un apprentissage dû à l’association entre des stimuli de l’environnement et les réactions automatiques de l’organisme. En gros, Pavlov a démontré qu’avec le bon stimuli, une réaction automatique pouvait être déclenchée chez son chien. Le reflexe conditionné est ensuite étudié dans les années suivantes par Edouard Bernays, neveu de Freud et pape des relations publiques modernes, avec un objectif en tête : induire des comportements spécifiques chez l’homme.
Les chercheurs ont longtemps spéculé sur les raisons de ce réflexe conditionné avant de découvrir finalement qu’une molécule était responsable de ce comportement: la dopamine. (https://qz.com/763401/pavlovs-dog-brain-chemistry/. Présente chez les chiens comme chez les hommes, la dopamine est une molécule que nous produisons naturellement grace à notre hypothalamus. Cette région de cerveau est plus connue sous le nom de « cerveau reptilien ». Elle constitue un héritage de notre évolution au cours des millénaires. Situé à la base de notre tronc cérébral, il contrôle quelques fonction de base comme la respiration, le rythme cardiaque et les émotions primaires : la peur, la faim, l’amour et le système de récompense.
Quels liens avec les réseaux sociaux et avec Facebook ? Eh bien toute l’architecture de ces sites repose sur des techniques qui s’inspirent de tout ces travaux. Une de ces techniques est même enseignée largement au MIT – lieu de recrutement priviligié pour la Silicon Valley – et dans diverses autres prestigieuses universités américaines. Son nom : la captologie.
La captologie est l’étude de l’informatique et des technologies numériques comme outil d’influence / de persuasion des individus.
Créé en 1996 par un B.J Fogg, chercheur à l’université de Stanford, la captologie explore les liens entre les techniques de persuasion en général et les technologies numériques. Cela inclut la conception (le design), la recherche et l’analyse fonctionnelle d’outils numériques (par exemple des logiciels sur ordinateurs, apps mobiles, pages web et les dispositifs spécialisés) créés dans le but de changer les attitudes et comportements des individus.
Tout les GAFA utilisent cette technique et embauchent des centaines d’ingénieurs et designers rompus à cette approche design.
Une approche que certains n’hésitent plus à appeler “Dark UX”. L’objectif, rendre l’expérience la plus immersive et engageante qui soit, en clair nous rendre tous addicts à la plateforme. Faites l’expérience. Le Newsfeed infini qui charge du contenu à mesure que l’on fait défiler la page: dark UX. Le bouton like qui permet de choisir ses émotions: dark UX. Le compteur de likes et de shares: dark UX. Les coeurs et leur petit nombre à coté sur instagram et twitter: dark UX encore. Tout est fait pour nous garder captif et ça marche. Ces plateforme sont devenus les bandits manchots de l’internet. En moyenne un américain passe aujourd’hui près de 2H par jours sur Facebook selon globalweb index  et ce n’est pas pret de s’arreter. Plus vous passez de temps sur ces plateformes, plus les pubs affichées génèrent de l’argent pour Facebook, Twitter et les autres. Leur intérêt est simple: faire en sorte d’augmenter le temps passé sur ces pages. Alors peu importe la qualité du contenu. Peu importe qu’il s’agisse d’infos toxiques puisque les infos de qualités publiés par les éditeurs sérieux redorent le blason des réseaux et amènent eux-aussi, du temps de cerveau disponible.
Les choses vont si loin que même les employés de ces compagnies commencent à alerter le public. Chamath Palihapitiya – qui a rejoint Facebook en 2007 pour y devenir plus tard le “directeur de la croissance utilisateurs” déclare ressentir une culpabilité énorme à l’idée d’avoir participé à (je cite) “une entreprise qui détruit la fabrique sociale de notre société.” L’ancien employé de Zuckerberg pointe du doigt le design addictif, la politique de l’entreprise vis-àvis des infos toxiques et l’hypocrisie des dirigeants qui interdisent à leurs propre enfant d’utiliser le réseau. D’autres employés de Facebook se rendent compte du monstre engendré. Sheryll Sandberg, la COO de Facebook avoue même dans un article de Vanity Fair “regretter certaines choses sur la plateforme”. “We wanna give voice to people”, nous voulons donner une voix au voilà ce que les plateformes clament haut et fort. En réalité, elle ne souhaitent qu’une chose, augmenter leur empreinte partout ou cela est possible. Quitte à détruire la concurence, les écosystème de startups en formation ou à vendre quelques pubs à une puissance étrangère qui souhaite faire basculer une élection.
Les infos toxiques prospèrent dans cet environnement, elle se développent et jouissent de toutes ces techniques qui manipulent votre attention, votre capacité de jugement et votre bonne volonté. Il est indéniable que Facebook – entre autre – est responsable de la désinformation de millions de personnes. Le fait d’affirmer à tour de bras que ce n’est qu’une plateforme masque en réalité très mal le déni de responsabilité de la firme de Menlo Park. Facebook, comme les autres réseaux sociaux permettent aux infos toxiques de proliférer et rejette la responsabilité sur nos épaules.
En 1968, Hannah Arendt, philosophe et journaliste allemande écrivait dans « La Crise de la Culture, Vérité et politique » : “La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat.” Faites attention à ce qui circule sur les réseaux.
Merci à Giulia Pagnini pour avoir assuré avec talent le doublage de Claire Wardle.
Pour aller plus loin :
Fakes News, la contre attaque s’organise
Aux États-Unis, les médias en ont marre de Facebook
https://www.theguardian.com/technology/2017/oct/05/smartphone-addiction-silicon-valley-dystopia
https://www.fastcodesign.com/90153804/facebook-wrote-the-book-on-addictive-ux-and-its-rewriting-it-for-kids
http://www.channelnewsasia.com/news/technology/fake-news-propaganda-and-the-internet-how-trust-is-being-broken-9389932
https://www.theverge.com/2017/9/8/16277144/facebook-russian-ads-political-explainer-credibility
http://www.politifact.com/punditfact/article/2017/oct/04/more-outrageous-better-how-clickbait-ads-make-mone/

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.