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IA et journalisme : Le CDJM publie ses recommandations

Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) publie ses recommandations 1 Journalisme et intelligence artificielle : les bonnes pratiques, juillet 2023, CDJM consacrées à l’intelligence artificielle pour la presse. Des recommandations graduées en fonction du risque généré.

En France, le Conseil de déontologie journalistique n’a que quelques années d’existence et son poids vis-à-vis des médias reste relativement restreint. Contrairement à l’ordre des médecins ou des avocats, le conseil ne dispose d’aucun moyen de sanction et ne peut rendre des avis que sur saisine. La portée de ces recommandations reste donc à prendre avec des pincettes. 
Alors que les IA génératives ont à peine quelques mois d’existence pour le grand public, elles sont déjà présentes chez beaucoup et soulèvent de nombreux défis, de nombreuses questions. Nous nous en faisons l’écho régulièrement sur SYNTH, mais pour le coup, la dimension éthique, notamment pour les journalistes, prend une ampleur inconnue à ce jour. Il ne s’agit pas en effet de mettre un simple outil de plus à disposition des créateurs de contenus et donc des rédactions. Il s’agit d’une technologie qui va bouleverser le paysage médiatique et donner à nombre d’acteurs malveillants la capacité de produire de fausses informations à l’échelle industrielle.
Du point de vue du CDJM, il fallait donc s’exprimer sur ce point puisque c’est là, sa mission. L‘effort mérite d’ailleurs d’être souligné tant la prise de conscience des risques liés aux SIA 2 Système d’Intelligence Artificielle et des médias synthétiques semble parfois accuser un certain retard en France par rapport aux pays anglo-américains. 

Pour être complètement transparent, pour la rédaction de cet avis, j’ai été interrogé par le CDJM, comme d’autres parties prenantes. Le résultat de ces travaux me semble tout à fait encourageant et mérite que les rédactions considèrent ces recommandations avec une attention toute particulière. Un regret, le volet travail sous son angle productiviste n’a pas été traité pleinement dans les dimensions de préservation de l’emploi, de mise en concurrence des journalistes avec l’IA, etc. C’est pourtant là que ça se situe, pour beaucoup de petites ou moyennes rédactions, l’attrait des #GenAI. Gain de productivité et réduction des coûts, les tentations seront grandes.

En revanche je souligne le mot pour les photojournalistes qui méritent qu’on préserve leur travail et qu’il soit mis particulièrement en avant tant il constitue une part essentielle de l’info.

Inspiré par l’AI Act

Clairement, l’EU AI Act en cours de rédaction, qui doit venir réguler les IA en Europe, a fait grand impression sur le Conseil puisque la structure du texte repose sur trois niveaux de risques auquels sont rattachés un certain nombre de recommandations. Le conseil reconnait donc trois types d’utilisation : risque faible, risque modéré et utilisation à proscrire. Cette dernière catégorie regroupe les pratiques qui ne sont pas compatibles avec la déontologie journalistique.

Le journaliste n’utilise pas d’outils d’IA pour générer des images, des sons ou des vidéos dont le réalisme risque de tromper le public ou de le laisser dans l’ambiguïté, en lui soumettant une information contraire à la réalité des faits.

Des contenus générés en intégralité par des outils d’IA ne peuvent être publiés ou diffusés sans contrôle éditorial

Des recommandations de bon sens dans une certaine mesure, mais que certains titres à l’étranger ont déjà esquivées et dont il y a fort à parier qu’elles ne seront pas forcément toujours respectées à la lettre.
Pour finir, le conseil évoque la nécessité de se former aux IA génératives et aux enjeux des médias synthétiques. Sur ce point je pense en effet qu’il est important de se pencher sur la question, mais de façon complète, pas simplement utilitariste. Je suis d’autant plus à l’aise sur ce point que je travaille sur des formations et des conférences adaptées sur le sujet qui font la part belle à l’aspect éthique et juridique et mets en perspective la pratique et les façons responsables d’utiliser les GenAI.

Il est indispensable de transmettre aux journalistes ( et aux étudiants aspirant à rejoindre les rédactions) les rudiments techniques, mais aussi et surtout la connaissance du cadre normatif et éthique dans lequel s’inscrivent ces SIA. Comprendre d’où elles nous viennent, quels sont les enjeux de maitrise des contenus pour une rédaction, les questions de droit de la propriété intellectuelle impliquées, sont autant d’atouts pour intégrer – ou pas – les IA génératives dans sa rédaction.
On observe aujourd’hui une offensive marquée de la part d’OpenAI 3 OpenAI strikes $5 million-plus local news deal, Axios, juillet 2023 et de Google 4 Google Tests A.I. Tool That Is Able to Write News Articles, New York Times, juillet 2023 en direction des rédactions américaines (locales pour OpenAI et les plus grosses pour Google)

Gerald Holubowicz
https://geraldholubowi.cz
Ancien photojournaliste et web-documentariste primé, je travaille désormais comme chef de produit spécialisé en innovation éditoriale. J’ai notamment collaboré avec le journal Libération, les éditions Condé Nast, le pure player Spicee et le Groupe les Échos/le Parisien. À travers mon site journalism. design, j’écris sur le futur des médias et étudie l’impact des réalités synthétiques — notamment les deepfakes — sur la fabrique de l’information. Après 10 ans d’interventions régulières auprès des principales écoles de journalisme reconnues, j’interviens désormais à l’École de Journalisme et au Centre des Médias de Sciences Po à Paris.